142 et légitimes de Marx, ont en un sens réfuté la ·théorie du matérialisme historique en créant un , . , . . reg1me econom1que - peu importe son nom : socialisme ou capitalisme d'Etat, collectivisme bureaucratique - par des moyens politiques et en l'absence ·des conditions matérielles préalables prévues par la théorie. S'il est un fait incontestable, c'est bien la manière dont les chosesse sont passées en Russie soviétique : au lieu que le mode de production y déterminât la superstructure politique ou culturelle, c'est le mode d'exercice du pouvoir politique, le recours illimité à la terreur imposée sans fondement juridique autre que la volonté de la direction du Parti, qui transforma le mode de production dans l'industrie commedans l'agriculture. Vouloir substituer à un développement économique progressif l'arbitraire politique, c'est accepter des conséquences qui n'échappèrent pas à l'auteur et ses amis. Ils donnèrent l'alarme: une faible minorité ne saurait, dans une société à prédominance paysanne écrasante, ·s'emparer du pouvoir sans soumettre la majorité à une contrainte nnpitoyable. Les menchéviks donnèrent d'autres avertissements. Ils virent et prédirent ce que coûterait aux travailleurs russes l'abandon de la Nep, la collectivisationforcée de l'agriculture, la démesure des plans quinquennaux. Mais les menchéviks eux-mêmes ne pouvaient imaginer jusqu'à quelles extrémités irait le régime communiste pour réaliser l'accumulation préalable de capital, puis l'industrialisation du pays, indispensables à ser projets grandioses. Que les bolchévilcs pussent faire fi à ce point et sur une telle échelle de la souffrance et de la vie humaines, nul ne le croyait possible. L'économiste communiste Préobrajenski ne plaisantait nullement en qualifiant la classe paysanne russe de « colonie intérieure », dont l'exploitation allait permettre l'industrialisation du pays. Si les communistes sont parvenus à cette fin, c'est à un prix incomparablement plus élevé que les autres pays industriels. Et ce que les communistes ont obtenu, un autre régime, fondé sur l'accord des ouvriers, des paysans et de l'intelligentsia, l'aurait obtenu aussi bien, mais progressivement et par des moyens plus humains en même temps que plus efficaces. Le mérite de l'ouvrage d'Abramovitch est de poser, dans le contexte de l'humanisme socialiste et des .libertés politiques, la question du déterminisme social ou de la maturité historique. VENONS-EàNl'intérêt principal de l'ouvrage, qui est d'éclairer la situation actuelle. Qu'est la Russie d'aujourd'hui, où veut-elle aller? Comment envisager les rapports entre le monde communiste et Biblioteca Gino Bianco LB CONTRAT SOCIAL le monde libre? Il ne saurait être question ici de pous~er très loin l'examen de problèmes d'une si grande complexité, mais l'auteur nous fournit d'utiles points de repère : corrélation entre fins et moyens, impossibilité de fonder une démocratie sociale véritable en dehors de la démocratie politique~ conséquences de la méconnaissance de ces prmc1pes. Le récit atteint son point culminant avec le triomphe de Staline, maître absolu d'un régime plus proche qu'aucun autre dans l'histoire du type idéal de la société totalitaire. Mais au moment où nous le lisons, nous assistons à la dégradation posthume du même Staline ; déjà ses restes ont dû quitter leur mausolée de marbre, bientôt ses successeurs auront fini de ramener ses mérites politiques aux proportions que leur réservait Lénine dans le post-scriptum à son testament. On s'est donc aperçu au Kremlin que ce que disent de Staline, depuis quelque trente ans, Abramovitch et ses amis, est la vérité pure et simple; il n'en faut pas plus à d'aucuns pour saluer l'aube nouvelle qui point à l'Est. Pour notre part, à lire la Révolutiondes Soviets, nous ne voyonsguère de raisonsde partager de telles espérances. Si l'ascension de Staline et son système totalitaire achevé eussent étonné Lénine - comme ils ont étonné Trotski - et s'il est vrai que Staline était capable de faire ce que n'ont fait ni Lénine ni Trotski, parce que trop intelligents, il n'en reste pas moins, comme le démontre ce livre, que c'est le régime fondé par. Lénine et Trotski qui a rendu un Staline possible. Au culte de la personnalité a succédé l'autorité du chef - Khrouchtchev. Mais dans cette Russie d'aujourd'hui, le joug demeure plus pesant, la terreur plus arbitraire qu'ils ne l'étaient même au temps de la dictature de Lénine. Aussi longtemps qu'un parti minoritaire se réserve le monopole du pouvoir, qu'aucune opposition politique n'est légalement admise, que la presse demeure asservie, qu'aucune œuvre de l'esprit n'échappe au contrôle de la police, rien n'autorise à penser que jamais plus Khrouchtchev ne fera ce qu'il a fait naguère en Ukraine, lorsqu'il 's'agissait encore, pour se rendre agréable à Staline, de n'oublier personne s_urles listes d'épuration. Et si ce n'est Khrouchtchev, ce sera son successeur... Telle est la leçon qui se dégage de l'ouvrage de :Raphaël Abramovitch, leçon que le temps ne risque pas de démentir. Le jour où l'on lira et fera lire ce livre sur tout le territoire de l'Union soviétique sera pour les hommes libres du monde entier un jour de fête. SIDNEY HOOK. (Adapté de l'anglais) <
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