Le Contrat Social - anno VI - n. 3 - mag.-giu. 1962

UN HOMME ET UN LIVRE * par Sidney Hook SEUL survivant parmi les hommes qui ont joué un rôle de premier plan dans le parti ouvrier social-démocrate de R~ssie, Raphaël Abramovitch nous donne auJourd'hui, sous le titre La Révolutiondes Soviets, une histoire des événements d'Octobre et de leurs suites, jusqu'à la veille de la deuxième guerre mondiale. Dans cet ouvrage qui contribue à notre connaissance autant qu'il enrichit notre compréhension de la révolution d'Octobre, l'auteur non seulement éclaire d'un jour nouveau une des péripéties décisives de l'histoire contemporaine, mais, par le rappel d'une foule de détails peu connus, aide à saisir, dans le flux même des événements, leur portée et leur signification. A lire ce chapitre d'histoire, on dirait que l'histoire, en un sens, y fait retour sur elle-même. LA VÉRITÉ de l'histoire est inépuisable. Nul ne saurait décrire ni interpréter un grand événement sans pratiquer dans la masse des faits une sélection commandée par la perspective adoptée. Se proposer de dire la vérit~ est certes nécessai~e, mais non suffisant, car qu'importe que les faits cités soient véritables s'ils sont insignifiants ou s'ils n'intéressent l'événement que de loin, voire en rien. Les vérités de l'histoire qui comptent sont celles qui se rattachent aux causes fondamentales de l'évolution historique. Ainsi, nulle vue de l'événement sous un jour donné ne permet de • Raphael R. Abramovitch : The Swiet Revolution, 1917-1939, New York 1962, International Universities Press, XVIII-473 pp. Le texte de Sidney Hook que nous publions constitue l'introduction à l'édition américaine de l'ouvrage. Une édition du texte russe original doit paraître prochainement, ainsi qu'une traduction allemande. Biblioteca Gino Bianco le saisir dans sa totalité ; mais sans orientation aucune du regard, rien ne sera retenu qui en vaille la peine. Ce qui donne à l'interprétation d'Abramovitch son caractère unique, c'est la co?vergence dans son ouvrage de trois lignes de mire. D'abord, son histoire de la Révolution est une histoire vécue. La perspective est celle d'un ~omme qui a hie~ connu le~ dirigeants bolch~viks,, et qui a maintenu le dialogue avec eux Jusqu.au jour où ils tentèrent de le réduire au silence en le menaçant de prison, puis d'une balle dans la nuque. En deuxième lieu, il s'agit d'une histoire socialiste, écrite du point de vue d'un homme qui jamais n'a approuvé la moindre initiative en faveur d'une restauration du régime prérévolutionnaire et qui toujours s'est dressé, au nom du droit du peuple russe à se gouverner lui-même, contre toute tentative d'intervention étrangère. En 1917, l'auteur était de ceux qui aspiraient à la paix et qui la voulaient le plus tôt possible - idéal que les bolchéviks, sous la cpnduite de Lénine et de Trotski, surent exploiter pour s'emparer du pouvoir ; et par sa foi dans un avenir de jus~ce, il partag~ait l'idéal socialiste dont les bolchéviks, du bout des lèvres, se réclamaient toujours. L' ouvrage de cet auteur fidèleau socialismedevrait être particulièrement instructif pour ceux qui, dans les pays de l'Occident, se sont laissé prendre aux subtilités de la sémantique communiste_: qu'ils réfléchissent sur ce qu'a coûté aux socialistes de Russie, et surtout au peuple russe dans son ensemble, l' « édification du socialisme » depuis 1917. Enfin - et c'est là l'aspect le plus important de la Révolutiondes Sooiets - ce livre est l'œuvre d'un socialiste qui est aussi un démocrate ; le troisième point de vue est donc celui d'un homme pour lequel les moyens ne sauraient être distingués des fins, un homme pour qui le monde de demain sera à l'imagé non des concepts et des promesses, mais des moyens employés.

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