M. PAINSOD théorie marxiste-léniniste et pour éduquer idéologiquement le peuple soviétique. Mais en même temps il estime que de nombreux défauts de la propagande du Parti sont dus à un certain retard des travailleurs des sciences sociales par rapport à la pratique de l'édification du communisme et des tâches du travail idéologique. Nombre d'économistes, de philosophes, d'historiens et autres savants n'ont pas surmonté certains éléments de dogmatisme, n'abordent pas avec courage et esprit créateur la vie et l'expérience de la lutte des masses, accordent trop peu d'attention à des questions théoriques et pratiques pourtant opportunes et sont souvent retenus par des problèmes dépassés et stériles. Une fois de plus, les historiens sont invités à renoncer à fuir le siècle et à se consacrer aux problèmes du jour. Jusqu'à présent, la réponse a été circonspecte. Sous tous les cieux, de par la nature de leur discipline, les historiens ressentent l'obligation primordiale d'éclairer le passé ; or l'histoire de la période soviétique a toujours présenté des aléas politiques très nets, en U.R.S.S. tout particulièrement. Depuis la mort de Staline, les risques, au sens strictement physique du terme, ont beaucoup diminué, mais comme le prouve le scandale de Questionsd'histoire, la re-interprétation du passé récent est pleine de chausse-trapes pour les imprudents. Certes, l'ouverture des archives depuis 1956 rend le travail sur la période post-révolutionnaire professionnellement plus séduisant ; mais le fait que les historiens consacrent une bonne partie de leur énergie à publier des documents donnera une idée de la prudence avec laquelle ce travail est abordé. Les monographies et articles parus depuis 1956 utilisent les matériaux d'archives à une échelle bien plus grande qu'auparavant, mais les matériaux eux-mêmes sont adaptés aux modèles exigés par les besoins actuels des dirigeants. Le XXIIe Congrès, qui a révélé tant de détails dramatiques sur les crimes de Staline et mis en cause à leur propos Molotov, Malenkov, Kaganovitch et Vorochilov, constitue une nouvelle feuille de route pour les historiens. Ils sont maintenant libres de rendre justice aux victimes des épurations staHniennes qui viennent d'être réhabilitées. Mais ils doivent continuer de manœuvrer prudemment quand il s'agit de personnageshistoriquement importants tels que Trotski, Kamenev, Zinoviev, Boukharine, Tomski, Rykov et autres dirigeants des oppositions de droite et de gauche des années 20 qui, eux, n'ont pas été réhabilités. On leur demandera, bien sftr, d'ignorer complètement le rôle joué, dans la grande épuration, par Khrouchtchev, Mikoïan, Chvernik, Kuusinen et autres membres de la direction actuelle du Parti, saufJour donner à entendre qu'ils n'avaient n e possibilité de s'opposer à des « excès » qu'ils désapprouvaient. Les historiens seront encouragés à compenser ces omissions en concenttant leurs feux sur Staline et sur le groupe antiparti, et, si les archives du K.G.B. leur sont tant soit peu ouvertes, ils auront une histoire Biblioteca Gino Bianco 139 horrible à raconter, même si elle demeure incomplète. Après ce qui est arrivé à Bourdjalov et à Questionsd'histoire à la suite du XXe Congrès, il est peu vraisemblable qu'il s'en trouve beaucoup parmi eux pour interpréter la deuxième phase de la désta1in1sationcomme un signal ouvrant la voie à une curiosité qui pourrait mener à reconstruire de manière totalement objective l'histoire soviétique. Que penser des historiens eux-mêmes dans leur effort pour romancer le passé, construire des mythes et concilier les exigences du Parti avec le besoin professionnel d'écrire l'histoire telle qu'elle s'est déroulée, quel que soit le prix à payer? Sur ce point, on ne peut que faire des suppositions et peut-être poser quelques questions. Pour certains historiens, les mieux endoctrinés et les plus fanatiques, il n'y a peut-être pas de dilemme : beaucoup d'entre eux considèrent que la vérité du Parti est la vérité la plus haute, et que leur tâche est d'imposer une vision de l'avenir aux imperfections du passé et du présent. Pour d'autres, le problème est sans doute plus complexe, sans être insoluble. Il ne faut jamais sous-estimer la propension de l'esprit humain à développer des contradictions et à faire bon ménage avec des paradoxes, surtout si le sujet vit dans une société qui n'offre aucune autre possibilité. Cependant, pour ceux qui croient que le désir de savoir et de dire la vérité est profondément ancré dans la conscience, un réconfort peut être tiré de ce qu'a osé Questions d'histoire en 1956, après que les entraves se furent relâchées. Il est facile de minimiser le sens de l'incident Bourdjalov en faisant ressortir que sa carrière sous Staline ne se distingue en rien de celle de n'importe quel homme de plume aux gages du Parti, et que son « haut fait » de 1956 correspondait exactement à ce qu'on attendait de lui. Il est plus difficile d'expliquer pourquoi lui et les autres persistèrent dans leur attitude après le net désaveu du Parti. Même en présupposant l'existence de quelque protecteur haut placé dispensateur d'encouragements, il n'en demeure pas moins que le risque était grand, comme la suite l'a amplement prouvé. Depuis 1957, Bourdjalov et consorts ont dft soit se terrer, soit faire des compromis avec la nécessité. Mais comment croire que leurs pareils ne resurgiront pas d'entre les nouveaux « rats de bibliothèque», d'entre ceux qui ont été soumis à la contagion des historiens « bourgeois » ou même des historiens non marxistes d'avant la révolution? Ou bien les historiens soviétiques deviendront-ils si bien conditionnés par le temps et le lieu qu'ils découvriront désormais ce qu'on leur dit de croire et qu'ils ne croiront plus ce qu'ils découvrent? MBRLB FAINSOD. (Traduit de l'anglais)
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