Le Contrat Social - anno VI - n. 2 - mar.-apr. 1962

K. PAPAIOANNOU comme un âge d'or comparées à la période que nous avons vécue 4 • Mais on ne se limita pas à la seule dénonciation des « reflets idéologiques » du « culte de la personnalité». Au lendemain du xxe Congrès, on en vint à attribuer à celui-ci la plupart des « violations de la légalité socialiste». C'est, en somme, de la «présentation erronée et antimarxiste du rôle de l'individu dans l'histoire » que découleraient non seulement la pétrification de la doctrine, mais aussi la suppression complète de la démocratie à l'intérieur du Parti, ainsi que la vague de terreur qui a accompagné et suivi les grands procès contre les déviationnistes de gauche et de droite. Si la théorie « idéaliste » du culte de la personnalité n'avait pas induit Staline en erreur, on n'aurait sans doute pas été amené à fusiller ou à arrêter 98 des 139 membres du Comité central élu au Congrès de 1934, ni à emprisonner 1.108 des 1.996 délégués à ce même Congrès... Voilà qui n'a pas manqué d'étonner P. Togliatti : . Penser qu'une personnalité, fût-elle aussi importante que Staline, ait pu changer notre régime social et politique, c'est contredire les faits, le marxisme, la réalité, c'est tomber dans l'idéalisme (sic). Cela signifierait attribuer à une personnalité des forces surnaturelles incroyables, comme la capacité de changer le régime social et, bien plus, le régime social dans lequel les millions de travailleurs constituent une force décisive. En régime «collectiviste », les ccmasses », les collectivités constituent une force si peu décisive qu'on rendit le culte de la personnalité responsable non seulement de la ccviolation des principes léninistes de la direction collective », mais aussi de l'introduction de normes ccinfernales » dans les usines et même de la déportation en 194445 de la population entière de différentes républiques, ccy compris, selon Khrouchtchev, les femmes, les enfants, les vieillards, avec tous les membres du Parti et du Komsomol, sans exception» ... Telle fut la nouvelle «présentation», authentiquement «marxiste », du rôle de l'individu dans l'histoire. On croyait jusqu'alors que le marxisme expliquait l'action des individus ou les aberrations des idéologies par les forces impersonnelles, ccmatérielles », qui meuvent le développement économique et la lutte des classes. En lieu et place des analyses objectives auxquelles on aurait pu s'attendre, le marxisme devenu orthodoxe a d'abord offert une vision édénique de l'édification du socialisme dans un seul pays et par un seul homme ; ensuite, une version démoniaque du mythe du roi thaumaturge. La surprenante facilité avec laquelle le cc ulte » de Staline fut transformé en abjection révélait toutefois le néant sur lequel l'immense édifice 4. A"ltoni Slonimsld, dans Pr6eglad Kulturalny, II avril 1956. Biblioteca Gino Bianco 99 avait été bâti. Comme l'a dit quelqu'un qui se croyait être la conscience de cette avant-gard~, laquelle se prenait elle-même pour la ccparue consciente» de l'humanité, cc e rapport a été un coup terrible» (J.-P. Sartre, 9 nov. 1956). En réalité, les hommes commencèrent à regarder la réalité avec des yeux dégrisés, et les éducateurs et rééducateurs du genre humain découvrirent eux-mêmes qu'ils avaient besoin d'être éduqués ; que les ccdémystificateurs » pro~essionnels ~vaie~t été victimes de ce que M. Pietro Nenni (lwmême Prix Staline) a appelé ccla plus gr~de mystification de l'histoire » ; que le fantastique cchomme total », dont le génie encyclopédique avait élu domicile dans le Parti pour tyranniser les hommes réels, était lui-même un analphabète manchot, borgne et unijambiste. En fait, avec la tyrannie de Staline, C:était l_a mystique barbare de l'ccavant-garde» qui venait de disparaître. · Fin de la« corn-vantardise» LÉNINEavait été le premier à s'alarmer de l'arrogance de cette prétendue avant-garde dont il dénonçait vertement la ccvanta~dise comm~- niste » et les ccmensonges commurustes ». Il avait même enrichi la langue d'un vocable nouveau : cc orn-vantardise», qui fit fortune. L'arrogante hybris que désigne ce mot bizarre, rien ne. la révèle mieux que le discours prononcé par Staline aux funérailles de Lénine : Nous, communistes, sommes des gens d'une contexture particulière. Nous sommes taillés dans une étoffe spéciale. Nous formons l'armée du grand stratège révolutionnaire, l'armée du camarade Lénine. Il n'y a rien de plus haut que l'honneur d'appartenir à cette armée. Il n'y a rien de plus haut que le titre de membre du parti qui a pour fondateur et pour dirigeant le camarade Lénine. Il n'est pas donné à tout le monde d'être membre d'un tel parti. Peu de ces surhommes survécurent aux épurations que déclencha l'auteur du panégyrique, qui d'ailleurs s'acharna avec une remarquable persévérance à démontrer qu'effectivement ils étaient tous taillés dans une étoffe tout à fait «spéciale». Parlant onze ans plus tard de l'ccépuration des espions, des assassins et des saboteurs dans le genre de Trotski, Zinoviev, Kamenev, Toukhatchevski, Boukharine et autres monstres »0 , Staline dévoila devant le monde stupéfait les effroyables dessous de l'ccavant-garde» : La poignée trotskiste-boukhariniste d'espions, assassins et saboteurs rampant devant l'étranger, servilement aplatis devant le moindre fonctionnaire étranger (sic) et prêts à lui servir d'espions - cette poignée d'hommes qui n'ont pas compris que le plus modeste citoyen soviétique, libéré des chaînes du capital, dépasse de toute une tête n'importe quel haut fonctionnaire étranger (sic) traînant sur ses épaules le joug de l'esclavage capi5. In Questions du léninisme, 1947, II, p. 290.

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