,... DIALECTIQUE DU RÉVISIONNISME par Kostas Papaioannou « LA DIALECTIQUE est un scandale et une abomination pour les classes dirigeantes et leurs idéologues doctrinaires »,disait Marx. Mais de quelle dialectique parlait-il? En tant que «loi » du devenir cosmique, savoir exhaustif et intégral, la dialectique avait tout pour séduire les idéologues doctrinaires d'une classe dirigeante de parvenus avides d'exercer leur puissance, voire d'imposer leurs goûts dans tous les domaines. Mais ce n'est assurément pas à cette dialectique-là que pensait Marx lorsqu'il la définissait comme une méthode «essentiellement critique et révolutionnaire »... Cette pensée critique et révolutionnaire, ses disciples, devenus éducateurs du genre humain, semblent la tenir en abomination encore plus que les bourgeois du temps de Guizot et du marquis de Galliffet. Car Marx, qui louait la bourgeoisie d'avoir créé un monde où «les hommes sont enfin forcés de regarder d'un œil dégrisé leur position dans la vie et leurs relations sociales », serait le dernier à sous-estimer l'immense œuvre de démystification accomplie par la société bourgeoise, le fait qu'elle ait été la première ayant osé vivre sans mythe, la première aussi qui ait pu se remettre sans cesse en question, sans craindre de se détruire. On ne peut en dire autant des régimes qui se réclament du marxisme. Au pluralisme d'une culture hautement individualisée, où la foi s'est vue privée de ses pouvoirs de contrainte et où la libre pensée ne peut trouver d'autre norme et d'autre point d'appui que ceux qu'elle trouve en elle-même, les marxistes « orthodoxes » ont substitué le principe de la société militaire, dans laquelle la discipline tient lieu de pensée. Et ce n'est pas un des moindres paradoxes de ce temps que les disciples de Marx (unis sur ce point, comme sur tant d'autres, à leurs pires ennemis) aient voulu imposer une prétendue « conception Biblioteca Gino Bianco du monde» et purger l'humanité de l'erreur au moment même où l'idée d'une réponse unitaire à la multiplicité irréductible des problèmes est devenue plus que jamais intellectuellement impossible. De là d'ailleurs l'aversion qu'ils professent à l'égard de toute divergence d'opinion : ils ont si peu foi en la «vérité » dont ils se donnent comme les interprètes exclusifs qu'ils craignent de tout céder s'ils cèdent sur un seul point, pour insignifiant que celui-ci puisse paraître sur le plan strictement politique. Aussi sont-ils peutêtre les seuls de nos jours à croire que toute critique, quel que soit son objet, est nécessairement subversive, et, plus encore, à faire en sorte que toute critique devienne «objectivement » révolutionnaire. Nous voulons dire que dans les pays «bourgeois» on peut ne pas aimer l'art de SaintSulpice ou le dernier Prix de Rome : ni l'Eglise ni la bourgeoisie ne se sentiront pour autant menacées dans leur existence. Seuls les disciples de Marx ont pu s'imaginer que c'est calomnier le «socialisme» que de reconnaître du mérite à l'art impressionniste ... Pourtant il est clair qu'aussi «révolutionnaire» qu'elle puisse paraître aux doctrinaires officiels, aussi subversive qu'elle soit en réalité, la critique du «réalisme socialiste » ou de toute autre forme de l'« orthodoxie» n'a que des rapports indirects avec la dialectique dont parle Marx. Cette manière de penser «essentiellement critique et révolutionnaire », il a fallu attendre la crise dite de déstalinisation pour la voir se manifester de nouveau parmi les marxistes. C'est alors qu'ils découvrirent, non sans quelque stupeur, qu'il était possible de confronter les idées marxistes avec la réalité qu'elles étaient censées animer, d'appliquer les critères marxistes au régime qui les avait inscrits sur ses frontons. Ce fut, somme toute, comme s'ils venaient de constater pour la première fois que le marxisme était autre chose
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