Le Contrat Social - anno VI - n. 1 - gen.-feb. 1962

LB CONTRAT SOCIAL l'homme formé par la société». Du bien et du mal dépeint un hussite révolté qui s'en prend à l'Eglise catholique et, comme hérétique, est condamné au bûcher, dont les flammes embrasent les maisons voisines et incendient symboliquement toute une ville. . C'est donc le thème confus de la révolte, plutôt que de l'anarchisme doctrinaire, qui revient constamment dans l'œuvre romanesque ou dramatique, historique ou poétique, du maître des lettres suédoises contemporaines ; révolte de l'individu contre la société, de l'homme contre les lois, les institutions, les religions, les préjugés, les conventions, les mœurs, les traditions ancestrales. L'écho des émeutes paysannes de la Russie s'y fait entendre, après celui de l'insurrection communaliste parisienne : ainsi dans Armes nouvelles, révolte d'une collectivité de village contre le pouvoir centralisé de l'Etat. Un des poèmes de Strindberg à cette époque (1883) deviendra le chant cc du mouvement ouvrier, tant social-démocrate que syndicaliste, en Suède ». Pour s'exprimer plus librement que dans son pays, Strindberg s'exile et, à Paris en 1883, écrit ses Nuits d'un somnambule en plein jour, qu'il qualifie : cc mes assauts poétiques contre la civilisation». En 1884, il part pour la Suisse, s'installe à Lausanne d'où il peut voir, écrit-il à Bjomson, « le Clarens de Jean-Jacques, et même, si j'exerçais bien mes yeux, j'arriverais à voir les nihilistes de Genève». Kropotkine et Jean Grave publiaient alors le Révolté en Suisse, et, à Clarens, s'était fixé Elisée Reclus, réfugié de la Commune. Beaucoup de révolutionnaires russes vivaient à Genève où Strindberg noua des relations avec M. K. Elpidine, l'éditeur socialiste de Carouge qui publiait en russe toutes sortes d'opuscules révolutionnaires de toutes nuances, parmi lesquels notons Une nihiliste, petit roman ébauché par Sophie Kovalevskaïa, et dont elle écrivit plusieurs chapitres en langue suédoise (ayant émigré en Suède, elle avait donné lecture de ces pages dans des milieux littéraires à Stockholm). Toujours est-il qu'en 1884, un de ses amis constate que cc l'August Strindberg du retour n'est pas le Strindberg du départ. Paris, la Suisse, les réfugiés, l'Internationale, Bjornson ont élargi son horizon. » Il s'inspire encore de Rousseau dans son enquête Sur le mécontentement général (1884) ainsi que de Max Nordau pour exalter la vie paysanne et un idéal où « chacun se nourrisse, s'habille sans trafic ni troc, de sorte que rien ne sorte du pays, surtout des produits nourriciers, pour être converti en articles de luxe et que, par conséquent, on n'ait besoin d'y rien faire entrer ». Il critique le gouvernement « de métier », pr~nise un self-government local qui rendrait superflues l'autorité publique et les lois pénales (cc sera plus tard la thèse de Lénine sur les soviets et le dépérissement de l'Etat, que les bolchéviks tourneront en dérision). Il découvre un autre processus révolutionnaire que celui de l'action Biblioteca Gino Bianco 65 subversive, « celui qu'indique la théorie marxiste de la catastrophe fatale ». Le fédéralisme de Strindberg s'appuie en 1884 sur des raisonnements cc inspirés entre autres de la Ligue internationale de la Paix et de la Liberté qui avait mis à son programme la création des Etats-Unis d'Europe». Il existait déjà une maquette de l'Europe unie : cc C'est la Suisse où différentes nationalités cohabitent, où les cantons jouissent d'une large liberté. » Strindberg alors évolue dans un sens réformateur mal défini sans renoncer à son utopisme foncier : L' Ile des bienheureux, sorte de Candide suédois, sert de refuge à des criminels déportés, par suite d'un naufrage, et l'absence d'organisation étatique y improvise une existence idéale : << La concorde, la paix et la quiétude régnaient sur la société tout entière ; on cessa d'y prononcer des mots brutaux et, finalement, les gens ne s'interpelèrent plus que par des surnoms affectueux. » Il fallut une éruption volcanique pour mettre fin à une expérience aussi édifiante. Rechute est un récit cc nihiliste » ( toujours au sens altéré du terme) dont le héros, un Russe, anarchiste, est jardinier (l'auteur aurait-il pensé au père de Max Nettlau ?) et plutôt tolstoïen : sa famille constitue une petite société qui se suffit à elle-même afin de traverser indemne ... l'ultime crise de surproduction prédite par Marx. Cette crise pléthorique obsède Strindberg qui verse dans un autre genre d'utopie, cc une utopie de société civilisée » ( Construction nouvelle) : une jeune fille suisse émancipée au contact de révolutionnaires russes et son camarade d'études ne peuvent se marier, mais finissent par trouver le bonheur au familistère de Godin, à Guise. Le rousseauiste s'écarte peu à peu des solutions agraires, nonobstant sa lecture d'Emile de Laveleye, et sous l'influence du marxiste August Bebel opte pour une « construction nouvelle )> à base industrielle. L'individualiste devenu réformateur socialiste, à trente-six ans, avoue sa lassitude : « Je vais, comme tous les vieux, me calmer. » Lui qui, dans un lettre privée, rêvait cc de faire sauter le palais de Stockholmet toute la famille Bernadotte », qui ensuite répudie le marxisme comme étant antirévolutionnaire et « chrétien », il se laisse aller enfin à son « penchant aristocratique », il décide en 1887 d'abandonner les questions sociales et de « regagner les régions plus neutres du poète et du penseur». Après avoir âprement condamné le féminisme, le bulletin de vote, la tyrannie des majorités, les principes démocratiques, il va prêcher << l'individualisme absolu », le droit des forts, la primauté des « meilleurs » au-delà du bien et du mal, la rrééminence des capitaines d,industrie et de 1 intelligentsia technologique sur la masse routinière. Après une phase de nietzschéisme, Strindberg versera dans la théosophie, la magie, l'astrologie et l'occultisme.

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