Le Contrat Social - anno VI - n. 1 - gen.-feb. 1962

58 taux d'intérêt élevés, des salaires d'autant plus bas qu'est forte la pression démographique, le protectionnisme, le .malthusianisme; et en fin de compte une relative ·stagnation qu'entretient, en marge d'un patriciat industriel très fermé, une multitude de petits entrepreneurs. Les obstacles majeurs à l'expansion du capitalisme sont, avec l'esprit de routine, l'absence de moyens de transport et la faiblesse du crédit. C'est avec raison que les saint-simoniens voient dans les transports rapides et l'extension du crédit les deux leviers de la .transformation économique. · L'essor de la seconde période a été justement lié à celui des chemins de fer et des compagnies de navigation, autant qu'à la création de puissants organismes de crédit. Sur ces deux plans, les idées des saint-simoniens ont gagné d'autres milieux capitalistes, qui par ailleurs se sont désintéressés des fins sociales et morales d'abord poursuivies. Un des grands problèmes du capitalisme a été de drainer l'épargne des « ·bas de laine» paysans ou petits-bourgeois. La séparation des banques d'affaires d'avec les établissements de crédit a été essentielle dans cette opération. L'auteur décrit la grande expérience bancaire des frères Pereire qui, dans un esprit saint-simonien, voulaient par le moyen de leur Crédit mobilier exercer une action planificatrice sur l'économie française. Fortement combattus par la Grande Banque, maîtresse de la ~anque de France,. et par la banque Rothschild,. ils devaient éc~p~e_.r.~a_nscette tentative de sauter par-dessus leur .siècle.. trop libéral ~t individualiste. En revancpe, ils réussirent à imposer à Napoléon III les traités libre-échangistes de I 860. qu'un patronat conser:vateur considéra comme l'événement le plus funeste depuis la révocation de l'Edit de Nantes. .. M. Palmade note qu'à cette époque une véritable ségrégation··s'opère entre les classes capitalistes, où les liens de famille de plus en plus étroits renforcent la solidarité d'intérêts, et le reste de la population. L'extension et la fusion en un ·seul marché des anciens marchés locaux, avec les dangers de la concurrence que cela représente, ne peuvent-elles amener en compensation l'extension et la fusion des dynasties bourgeoises ? En même temps, commence l'aventure financière avec les exportations de capitaux vers les pays neufs (emprunts d'Etat, mines et chemins de·fer, canal de Suez et plus tard canal de Panama, etc.). Un tiers de l'épargne française se sera ainsi dispersé en trente ans à travers le monde, aux dépens de l'équipement du pays. · Dans la période précédant la guerre de 1914, cette exportation des capitaux va prendre d' énormes proportions. La France est le second banquier du monde. Mais alors que l'Angleterre prête à des clients éventuels de son industrie, la France disperse ses crédits entre des pays qui s'en servent pour commander leur équipement à d'autres nations industrielles ..Par:-exemple:;·.nous vendons à l'Allemagne le minerai de· fer avec lequel elle Biblioteca Gifla Bianco LE CONTRAT SOCIAL fabrique des machines que l'Europe orientale lui achète avec 1es fonds prêtés par nous... De tels « circuits »·peuvent enrichir momentanément le pays, mais ne· développent ni son industrie, c'est-à-dire le niveau de vie des salariés, ni sa puissance politique et militaire. Les leaders syndicalistes d'avant 1914 avaient donc raison de réclamer un capitalisme agissant, pouvant distribuer des revenus à tous, plutôt qu'un capitalisme de rentiers, consommant les leurs sans esprit d'entreprise. La persistance d'un nombreux artisanat et d'un plus nombreux paysannat, stabilisant les structures sociales et avec elles les effectifs de la population active, la faiblesse des sources d'énergie· et la fuite des capitaux furent évidemment des,· phénomènes corrélatifs, mais dont les effets non compensés s'ajoutaient pour faire de l'industrie française une vaincue dans la compé- " tition internationale. Des entreprises allemandes, suisses ou belges s'installèrent dans une France gorgée d'or, mais sans industrie· puissante. « La maèhine commence à s'essoufler », écrit M. Palmade, p. 244. Comment peut-elle s'essouffler si elle mène sa course à une allure de tortue ? Le capitalisme français fut aussi hostile que le capitalisme américain aux lois de protection ouvrière; mais il le fut. exclusivement par conservatisme, sans l'excuse·du dynamisme, brutal mais créateur, de son concurrent. En revanche, cette situation - paradoxale dans les temps modernes - d'un pays riche quoique mëdiocrement industrialisé, donc à évolution lente,- a sans doute contribué à faire de la France le centre artistique du monde. Le mauvais goût 'de la bourgeoisie de ce pays fut à ces époques sans rival, mais l'atmosphère de loisir où ··ellevécut dans les dernières années du xrxe siècle·se perpétue dans les œuvres picturales des écoles françaises. C'est par cette remarque, quelque peu extérieure au sujet, que nous voulons dopner une conclusion à cet aperçu du petit livre de M. Palmade dont les descriptions, dégagées de tout dogmatisme, nous ont paru aussi utiles qu'attrayantes. M. C. Un témoignage PAULMuss : Guerre sans visage. Paris 1961, Editions du Seuil, 192 pp. LIVRE ·singulier, qui peut déplaire et même choquer, ·mais qui impressionne fortement et donne à tous de précieux éléments pour la réflexion. Il se compose de deux parties ; ce qui en a fourni l'occasion,· -c'est la collection, d'ailleurs brève, des lettres envoyées à ses parents par le sous-lieuten·ant parachutiste Muss, héros authentique, tué ··en Algérie quelques jours avant la date fixée..pour ·son retour en France. Usant de ces lettres comme de notes ou de pièces d'archives,

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