Le Contrat Social - anno VI - n. 1 - gen.-feb. 1962

K. PAPAIOANNOU à l'emprise de la négativité, Marx rejettera la « fiction » de l'Esprit dans les « superstructures idéologiques» et interprétera la totalité de l'être humain en fonction du degré d'intensité de ses actions négatives. Le travail, unique valeur « QU'EST-CE que la vie, sinon de l'activité ? » demande Marx avant de montrer que « toute activité humaine [lisons : toute activité authentiquement humaine] a été jusqu'ici du travail, donc de l'industrie » 29 • Si, « comme la plante et l'animal», l'homme se définit par ses besoins, si par ses besoins il appartient totalement à la nature, l'homme se distingue des autres êtres naturels par sa production, et uniquement par celle-ci : On peut différencier les hommes des animaux par la conscience, par la religion, par ce qu'on voudra. Ils commencent eux-mêmes à se distinguer des animaux dès qu'ils commencent à produire leurs moyens d'existence 30 • L'homme ne peut conquérir son humanité qu'en soumettant la nature à sa volonté. Dans la mesure où la nature ne dépend pas de lui, lui est extérieure, elle ne peut que le rendre étranger à son être ; et dans la mesure où l'homme est incapable de transformer la nature, il est vide de substance. Aussi longtemps que la nature « s'opposait à l'homme comme une force absolument étrangère, toute-puissante et inattaquable » 31 , comme c'était le cas dans les temps primitifs, l'homme ne pouvait qu'être absolument inhumain. Tant que la nature « n'était encore qu'à peine modifiée historiquement», c'est-à-dire aussi longtemps que l'humanité ne disposait que d'une force productive embryonnaire, la société demeurait enfoncée dans l'animalité, prisonnière d'une relation « purement animale » avec la nature. Il serait absurde, selon Marx, de croire que l'homme primitif pût être « humain » sur un autre plan que celui de la production, qu'il pût avoir une attitude non animale face à la nature, en tant qu' artiste par exemple, ou comme être angoissé par la mort, obsédé par le besoin de donner un sens à son existence, cherchant dans la danse ou le masque le moyen de retrouver l'unité avec l'univers déjà senti en tant qu'inexorable altérité. L'homme de Neandertal, avec sa station verticale imparfaite, son faible développement cérébral, sa mâchoire de singe et ses pierres taillées, était déjà susceptible de préoccupations « religieuses », de toute manière spirituelles, puisqu'il pratiquait l'inhumation. Vico était beaucoup plus réaliste lorsque, en un jeu de mots significatif, il disait que « l'humanité commence avec l'acte de humare, ensevelir » 89 • 29. Ibid., pp. 147 et 192 (VI, 34). 30. DI, p. 17 (VI, 157). 31. Ibid., pp. 27-28 (VI, 169-170). 32. Scimza Nuooa, B, § 537. Biblioteca Gino Bianco 49 Mais pour Marx « ce que la conscience fait toute seule n'a aucun intérêt». L'homme et sa conscience sont absolument, entièrement déterminés par l'état des forces productives et le degré d'intensité de la lutte contre la nature. Le comportement de l'homme primitif à l'égard de la nature étant « purement animal », sa conscience ne pouvait qu'être animale, « grégaire, moutonnière » : On voit que le commencement de la conscience est aussi animal que la vie sociale de cette époque : l'homme ne se distingue du mouton qu'en ce que sa conscience remplace l'instinct ou que son instinct est conscient. A cela, on objecterait volontiers que l'homme d'Altamira ou de Lascaux se distinguait du mouton autrement que par la technique rudimentaire qu'il possédait; quel' homosapi,ens 'est affirméà l'origine incommensurablement plus comme homo artifex que comme homo/aber. Mais le fait qu'il ait produit un art dont la splendeur exprime le contraire d'un « comportement animal à l'égard de la nature » ne doit pas nous induire en erreur et nous porter à compter ces œuvres où s'épanouit la sensibilité humaine parmi les « révélations exotériques » des forces essentielles de l'homme. Pour Marx, « ce que les hommes sont coïncide avec les objets qu'ils produisent et avec la manière dont ils les produisent » 33 • Ces objets « matériels-sensibles, réellement distincts des objets mentaux» de l'idéologie, constituent la véritable subjectivité de l'homme puisque c'est par leur truchement qu'il se comporte « historiquement » à l'égard de la nature et surmonte peu à peu son inhumanité originelle. Il ne saurait être question pour Marx de cesser un instant d'envisager la nature du point de vue de l'exploitation technique et, par conséquent, de considérer chez l'homme la faculté de créer, au-delà des outils et des « forces productives», des œuvres qui témoignent d'une manière d'être en « relation historique » avec la nature autre que celle qui s'épanouit dans la grande industrie. Son « monisme » sociologique, qui ne connaît que le déterminisme économique et qui tient tout le reste pour des « superstructures » plus ou moins « éthérées » (irréelles), découle directement, et d'une manière aussi peu critique que possible, de sa philosophie « monophysite » qui veut identifier l' « essence » de l'homme avec sa seule force productive. C'est ce qui ressort aussi des considérations de Marx sur la nature de la mythologie. Une anthropologie monophysite S1 l'industrie est la seule « relation historique réelle» entre l'homme et la nature, c'est qu'entre celle-ci et le comportement « purement animal », non «historique» de l'homme primitif à l'égard 33. DI, p. 17 (VI, 155).

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