Le Contrat Social - anno VI - n. 1 - gen.-feb. 1962

W. KOLARZ seront pas exemptes. La question se pose aussi de savoir qui doit diriger la phase socialiste de la révolution, une fois accomplie la phase nationale. L'U.P.C. ne serait guère capable de tenir ce rôle. Un candidat possible pourrait être la Confédération générale camerounaise du travail (C.G.C.T.), organisation syndicale de gauche qui est une des rares centrales syndicales africaines encore affiliées à la F.S.M. Il existe cependant au Cameroun au moins cinq autres organisations syndicales rivales, ce qui réduit fortement pour la C.G.C.T. les chances d'imposer sa volonté au «prolétariat» du pays. Le parti démocratique de Guinée EN RAISONde son caractère illégal et révolutionnaire, l'U.P.C. est portée à un extrémisme qui n'a guère de parallèle en Afrique, du moins dans les Etats successeurs de l'Empire français. En comparaison, le p1rti démocratique de Guinée, avec lequel l'U.P.C. se sent beaucoup d'affinités et qui a offert à ses dirigeants un refuge à Conakry, semble presque un modèle de modération. Parler de son crypto-communisme est tout à fait fallacieux. On a beaucoup écrit sur la situation en Guinée et sur les liens de ce pays avec le monde communiste, et beaucoup de ce qui a été dit tant à l'Ouest qu'à l'Est paraît réel et plausible. Mais quelques faits ne suffisent pas .à expliquer les réalités complexes de l'Afrique d'aujourd'hui. Van Broekhuizen, socialiste néerlandais qui visita récemment la Guinée, a dit très justement que les Européens parlent de faits bruts et immuables, indépendants de la volonté humaine, alors que les Africains parlent de sentiments, d'amitié, de dignité et de reconnaissance de leur personnalité 11 • Dans le domaine des faits, on remarque de nombreuses affinités entre la Guinée et le monde communiste, mais dans le domaine des sentiments, il y a entre eux un abîme difficile à combler. Non seulement les dirigeants guinéens éprouvent des sentiments différents de ceux des marxistes orthodoxes, mais les mobiles de leur action politique sont complètement étrangers à la pensée marxiste. La politique du parti démoc;ratique et les nombreuses déclarations de Sekou Touré révèlent que la vraie devise de la République de Guinée n'est pas l'appel de Karl Marx: « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous », mais le mot de Charles Maurras : « Le plus grand bonheur de l'homme est l'indépendance de la patrie. » LA PATRIE qui occupe la pensée de Sekou Touré n'est pas tant la Guinée que toute l'Afrique. Le parti démocratique de Guinée met l'Afrique à la première place et tout le reste 11. Jacques Van Brockhuizcn : "Point de vue sur la Guin~c •, in Est et Ou11t, Paris, n° 262, p. 3. Biblioteca Gino Bianco 17 à la seconde. Tous les mouvements et forces politiques hors d'Afrique sont jugés selon un seul critère : favorisent-ils les intérêts de l'Afrique et de la Guinée ou leur nuisent-ils ? La dignité nationale n'est pas pour Sekou Touré un simple slogan, mais quelque chose de toutl à fait réel, important et digne de tous les sacrifices. Le parti n'est pas pour lui l'instrument d'une dictature idéologique : sa tâche est d'unir le peuple de la République de Guinée et de faire une nation des différentes tribus qui l'habitent (article premier des statuts du parti). Le parti est le peuple, et non pas une élite comme dans les pays communistes, différence dont Sekou Touré lui-même est très conscient. L'idéologie est, à ses yeux, quelque chose que seules les nations développées peuvent se permettre, tandis que les pays sousdéveloppés ou non développés doivent se concentrer sur l'édification sociale, économique et culturelle sans se laisser distraire par les problèmes idéologiques. Pourtant, quand Sekou Touré parle d'idéologie, c'est au marxisme qu'il pense et non au panafricanisme. Du point de vue guinéen - qui est partagé par les dirigeants du Mali - l'idéologie ne peut qu'être nuisible si elle divise la nation. Le marxisme orthodoxe le ferait certainement et ne peut donc être accepté comme idéologie d'Etat ni en Guinée ni au Mali. Cela n'empêche pas des marxistes d'être admis au parti démocratique de Guinée et à l'Union soudanaise du Mali, mais le marxisme doit demeurer une affaire privée. Combien de temps cette attitude prévaudra, personne ne saurait le dire, mais elle pourrait durer longtemps encore. Certains traits superficiels du système communiste et certaines mesures pratiques prises dans les pays communistes d'Europe et d'Asie ont été imités par la Guinée et, à un degré moindre, par le Mali. Pourtant, il est douteux que la planification économique ait vraiment plus d'attrait pour Sekou Touré et Modibo Keita que pour Ahmed ben Salah, ministre tunisien de la Planification, ou Mamadou Diah, premier ministre du Sénégal, inspirés tous deux par la philosophie personnaliste d'Emmanuel Mounier. Et si le projet guinéen d'instaurer un système d'agriculture collective, en transformant progressivement les coopératives en fermes collectives, doit beaucoup à l'inspiration communiste, on explique touJours que ce J?lan est conforme à la séculaire structure solidar1ste et communale du village africain. Le mot d'ordre de Sekou Touré est : « Vive la communocratie africaine », et non : « Vive la collectivisation » 12 • 12. Sur les idées politiques de Sckou Touré, cf. en particulier : Sekou Touré : La Lutte du p:irti démocratique de Gui11ü pour l'émancipation africaine, vol. IV., Conakry 1959; L'Action politique du parti démocratique de Guinée. La P/anificaN'on lconomique, Conakry 1960 ; et Texte des interviews accordüs aux repruentants de la presse par le prbident S,kou Tourt, Conakry 1959.

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