Le Contrat Social - anno VI - n. 1 - gen.-feb. 1962

6 - en particulier Mo Ti, Wang Tchoung et Wang Tchouan-chan - avaient déjà exposé toutes les idées de Mao sur le rôle de la pratique dans le processus de la cognition 1 • Dans le second essai philosophique de Mao, Sur la contradiction, l'argumentation chinoise est également outrée, quoique peut-être un peu moins fragile. Af Ssou-tchi prétend que, là, Mao « développa l'idée géniale de Lénine que " la dialectique, brièvement définie, est la théorie de l'unité des contraires " » et qu'il « donna une définition plus complète des rapports corrects entre la contradiction intérieure et la causalité extérieure dans l'évolution des choses ». En réalité, l'essai n'avance rien de nouveau ni sur l'unité des contraires ni sur la « particularité » de la contradiction; il n'en fait guère plus pour « donner une définition plus complète » des lois de la causalité qui dépasse le concept de « l'automouvement nécessaire » des choses, tel qu'il est énoncé dans la Logique de Hegel et dans les écrits d'Engels et de Lénine. Mao semble bien tenir une formule originale lorsqu'il soutient que toute contradiction possède un « aspect principal » qui détermine le changement qualitatif; mais son originalité, en tant que matérialiste dialectique et philosophe marxiste, se borne à cette idée plutôt suspecte. Outre leur valeur réelle en tant qu'apport à la_philosophie marxiste, la question se pose de savoir si c'est bien en 1937, comme le prétendent les communistes chinois, que les deux essais ont été écrits dans leur forme actuelle. Suivant la version officielle, Sur la pratique aurait été rédigé en juillet et Sur la contradiction en août de cette année-là. Les introductions à ces essais dans les vol. I et II des Œuvres choisies de Mao (parus respectivement en octobre 1951 et en avril 1952) affirment qu'à l'origine Mao les présenta sous forme de conférences à Yenan en 1937 .et un commentaire qui accompagne Sur la contradiction suggère que le texte primitif a été révisé avant d'être inclus dans le vol. II. EN RÉALITÉ, des preuves importantes viennent infirmer cette version des faits. Tout d'abord, il semble que Sur la pratique ait paru pour la première fois en Chine dans l'organe central du Parti, le Quotidien du peuple, le 29 déc. 1950 (il parut également dans la revue soviétique Bolchévik, n° 23, déc. 1950, et fut commenté dans la Pravda le 18 déc. 1950) ; Sur la contradiction parut également pour la première fois en Chine dans le Quotidien du peuple le 1er avril 1952. Bien que des recueils des œuvres principales de Mao aient paru au milieu des : 1. Feng You-lan : « Sur la pratique, de Mao Tsé-toung, et la philosophie chinoise », in Chine populaire, Pékin, 16 nov. 1951. Cependant, Feng se sentit obligé de conclure que Mao avait << résolu un problème qui avait attiré l'attention de tant de brillants esprits à travers les siècles ». Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL années 40, ils ne portaient pas trace de l'un ou l'autre de ces essais. De plus, dans un article philosophique publié en mai 1941, !'écrivain communiste Hsiao Tchou traitait précisément de la théorie de la pratique sans faire allusion au prétendu essai de Mao sur le même sujet 2 • Il est .également curieux que le vol. I des Œuvres choisies de Mao, édité en octobre 1951, comprenne Sur la pratique et non Sur la contradiction et que cet essai ait paru en dépit de l'ordre chronologique dans le vol. II, publié en avril ' 1952, illlll!édiatement après qu'il eut été rendu public pour la première fois dans le Quotidien du peuple. La déclaration du comité d'édition des œuvres de Mao, laquelle apparaît sur la page de garde du vol. II, n'est pas faite pour élucider ce mystère ; elle reconnaît seulement que Sur la contradiction « aurait dû paraître dans le vol. I pour s'accorder avec la chronologie de l'auteur », ~ ce qui serait fait lors de la prochaine réédition. Cela semble indiquer qu'en octobre 1951, lors de la parution du vol. I, Sur la contradiction n'était pas encore prêt. Une autre raison de douter de la version chinoise est le contraste flagrant, quant à la qualité de la pensée marxiste, entre Sur la pratique et -Sur la contradiction, so:qs leur forme de 1950 et 1952, d'une. part, çt un autre exemple de la prose phiJosophique de Mao qui remonte à 1940, d'autre ·part. Celui-ci, fragment d'un essai sur le matérialisme dialectique 3 , semble être le seul échantillon de philosophie marxiste écrit par Mao et p~blié avant 1950; il jette une lumière crue sur l'aspect primaire de ses idées philosophique~.de_rép9que. Mao y commet beaucoup d'erreurs; entre autres en attribuant aux « idéalistes » des opinions professées en réalité par des marxistes compétents ; le tout est un fatras de déclarations discutables, aussi bien du point de vue philosophique que dû point de vue marxiste. Même les lieutenants de Mao semblent avoir considéré l'essai comme une catastrophe. Selon le général C_heng Chih-tsaï, seigneur de la guerre de la province. du Sin-kiang, Fan Lin, communiste de Yenan, aurait refusé de lui communiquer l'essai en 1940, ajoutant : « Vous feriez mieux de ne pas le. pre. Du point de vue théorique, la· djal_ectique·du président Mao est pleine d'erreurs 4 • » ·· Si telle était la qualité de la pensée philosophique de Mao en 1940, il est difficile de croire que les conférences qu'il aurait faites à Yenan en 1937 sur les théories marxistes de la pratique et de la contradiction aient pu être moins primaires ou naïves. En revanche, Sur la pratique et Sur la contradiction, sous leur forme de 1950 et 1952,. sont le fait d'un théoricie11q: ui, sans être 2. · « Etudiez la théorie ·et la pratique », in les Masses, _ vol. IV, n° 14, 20 mai 1941, pp. 397-400. 3. « Matéri~isme dialectique, 28 ·p~rtie~»,-in Démocratie, Shanghai, vol. I, n° 2, mars 1940... , , . ·. 4. Allen S. Whiting_ ~t gén~ra,l -C.h.,engChih-tsaï : Sinkiang - Pawn or Pivot'?· Michigan S~atè ·university Press, 1958, pp. 229-31. . . ..

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