Le Contrat Social - anno V - n. 6 - nov.-dic. 1961

LE CONTRAT SOCIAL multiplièrent. En avril 1927, la Cour suprême du Massachusetts confirma néanmoins la sentence. Une tempête de protestations s'éleva aux EtatsUnis et à l'étranger, les appels à la clémence redoublèrent, augmentèrent au décuple, au centuple, adressés au gouverneur de l'Etat et au président d:es ~tats-Unis. Ap~è~ diverses péripéties parttc~ères aux con~t101:1s!~cales, et tandis qu'une immense vague d'1ndignat1onpopulaire déferlait dans nombre de pays, les deux anarchistes furent exécutés le 22 août 1927, six ans après leur procès. Une émotion intense s'exprima dans la presse, dans les meetings et manifestations de grandes villes partout dans le monde. On se battit dans les rues de Paris où la foule qui se dirigeait vers l'ambassade des Etats-Unis se heurta aux barrages de police. Le souvenir de ces événements, auxquels participèrent singulièrement les socialistes, les syndicalistes et les communistes de l'époque sans distinction de nuances, subsiste dans bien des mémoires. L'écho s'en répercuta pendant des années encore, ravivé plus tard et entretenu par les communistes d'une autre époque par esprit de dénigrement contre la « justice américaine », expression et notion impropres puisque la législation et la procédure pénales varient aux Etats-Unis selon les Etats. L'affaire avait d'ailleurs marqué profondément la conscience de larges milieux américains : on en trouve la preuve dans Boston, le roman d'U pton Sinclair ; dans Gods of the Lightning, de Maxwell Anderson ; dans Two Sonnets of Memory, d'Edna Millay. Les ouvrages de Felix Frankfurter, The case of Sacco and Vanzetti, et d'Eugene Lyons, The Lif e and Death of Sacco and Vanzetti, ainsi que le recueil des Letters of Sacco and Vanzetti, attestent l'intérêt soutenu qu'elle a suscité, qu'elle ~arde encore de nos jours. Un livre de Murray Kempton, Part of Our Time, lui donne plus d'importance, à cette affaire, qu'à la grande dépression économique des années 30. Tout récemment Robert H. Montgomery, avocat en vue à Boston, a publié Sacco-Vanzetti, The Murder and the Myth, qui à sa façon en renouvelle l'étude. Or Max Eastman qui en 1927 avait pris fait et cause de tout cœur pour « les deux idéalistes, innocents de ce crime et aimés des pauvres », contre la justice « de classe » de son pays, vient de donner à la National Review (n° du 21 octobre) un article refusé par une demi..douzaine de publications « plus à gauche» et qui mérite d'être connu, notamment en France où le mouvement pro-Sacco-Vanzetti fut extrêmement fervent et passionné, où les communistes exploitent encore ce sentiment sincère à leurs fins partisanes. . Il est certain, écrit Max Eastman, que le juge Webster Thayer n'était pas impartial; son hostilité envers les accusés en raison de leurs opinions subversives a été établie par Felix Frankfurter, ·Biblioteca Gino Bianco 373 ainsi que par l'ouvrage de G. Louis Joughin et Edmund M. Morgan, The Legacy of Sacco and Vanz.etti, paru en 1948. Il eût donc été juste d'accorder aux deux anarchistes un nouveau procès. Trente et un témoins certifiaient que Vanzetti ne faisait pas partie du gang aperçu sur le lieu du crime ; treize autres l'avaient vu à Plymouth ce jour: là, colpo1;ant son poisso~. Mais cela ne s'applique pas a Sacco. Il aurait donc fallu juger les deux hommes séparément. Fred Moore, le défenseur, estimait que Vanzetti avait grande chance d'être acquitté, si son cas était disjoint, mais alors Sacco eût été à coup sûr déclaré coupable. Moore s'en ouvrit à Vanzetti qui lui répondit : « Sauvez Nick, il a femme et enfant. » L'erreur générale fut de considérer Sacco et Vanzetti comme une seule et même personne. Cent quarante-quatre poèmes, six pi~ces de théâtre et huit romans traitent de l'affaire, sans parler des tonnes de papier journal, remarque Max Eastman, et l'idée qu'il s'agissait de deux individus distincts est rarement apparue, même chez les jurés (avec qui Edward B. Simmons eut des entretiens d'un vif intérêt, rapportés dans le New Bedford Standard-Times du 12 novembre 1950). Pourtant les deux hommes eurent. des attitudes différentes sur deux points essentiels : Sacco ne se joignit pas à Vanzetti pour demander sa grâce et, allant à la chaise électrique, il s'abstint de proclamer son innocence, ce que fit Vanzetti avec une force convaincante. Dans la chambre de mort, Sacco cria en italien : « Vive l'anarchie! » Puis se calma et dit en anglais : « Adieu ma femme, mon enfant, tous mes amis. » Ensuite, aux témoins : « Bonsoir, messieurs. » Enfin, il murmura en italien : « Adieu, ma mère. » Pas un mot sur l'accusation. Vanzetti serra la main des _gardiens, s'assit et déclara à voix basse : « Je tiens à vous dire que je suis innocent. Je n'ai jamais commis aucun crime, mais parfois quelque péché. » Il ajouta, tourné vers le directeur de la prison : « Merci pour tout ce que vous avez fait pour moi. Je suis innocent de tout crime, non seulement de celui-ci, mais de tout crime. Je suis innocent. » Après une pause, il prononça ces derniers mots : « Je désire pardonner à certaines personnes (some people) ce qu'elles me font maintenant. » Le contraste est frappant. En 1927, Upton Sinclair se trouvait à Boston pour écrire son roman Oil. Fred Moore le per• suada de venir voir Vanzetti à la prison de Chàrlestown. « Je fis connaissance avec un Italien doux, un rêveur aux yeux tristes, qui sept ans auparavant était un pauvre colporteur de poisson, mais qui s'était instruit en prison et parlatt maintenant comme un philosophe étranger, un saint. Je fus profondément touché et tout à fait sftr qu'il n'avait jamais commis de vol ni de meurtre )), raconte Upton Sinclair dans un Bulletin of the Jnstitute of Social Science de la Rand School publié en 1953. De retour en Californie, il lut la nouvelle de l'électrocution et fut horrifié. Il

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==