330 le parti improvisé qui se réclamait du Président de la République, comprenaient des éléments extrémistes qui exerçaient un chantage nationaliste sur l'ensemble de la droite. De sorte que, loin de souder toute la droite en une majorité cohérente, il fallut au contraire rejeter successivement dans l'opposition l'extrême droite et une bonne partie de la droite. Finalement le gouvernement s'est trouvé essentiellement soutenu par un centre droit environné de deux oppositions, ou plutôt de diverses oppositions situées les unes à sa gauche, les autres à sa droite. Et lorsqu'il lui faut compléter sa majorité, beaucoup plus que sur sa droite, ce peut être au centre, au centre gauche et à gauche qu'il trouve le soutien nécessaire. Notre Assemblée appartient bien à la troisième variété. M. Debré, qui a été un de nos meilleurs théoriciens en matière de structure parlementaire et de modes de scrutin, songe-t-il encore à transformer notre Assemblée? On peut en douter. On lui attribue l'intention de faire adopter un nouveau mode de scrutin, qu'il espère sans doute qui donnera la majorité à son parti. Il s'agirait du scrutin majoritaire départemental. S'il en était ainsi, on devrait en conclure qu'il s'est laissé entraîner dans la vieille ornière. Telle est la routine du pouvoir : on limite sa réflexion à la recherche d'une majorité, les problèmes de gouvernement font oublier le problème constitutionnel. La fonction de l'opposition EsT-CESEULEMENd'Tune majorité qu'a besoin M. Debré? Rien n'est moins évident. Si les grandes affaires actuelles tournent dans un certain sens, n'importe quel mode de scrutin majoritaire lui offrira des chances de victoire, l'actuel comme le départemental. Dans le cas contraire, un changement du mode de scrutin lui apportera sans doute les mêmes déceptions que d'autres ch~gements, dans le passé, à d'autres hommes politiques. Posons qu'un système habilement conçu procure au Premier ministre une confortable majorité. Au premier abord, la minorité paraîtra composée d'une poussière d'oppositions dont aucune ne sera dangereuse : à l'extrême droite, un groupe ardent de poujadistes et d'O.A.S.; à droite, des indépendants attachés au vieux libéralisme ; au centre gauche, des républicains soucieux de laïcité ; à gauche, des socialistes ; à l'extrême gauche, des communistes revenus peut-être plus nombreux qu'après leur exceptionnelle défaite de 1958. On vient de dire qu'aucune de ces oppositions ne sera dangereuse. Il s'agit évidemment du plan parlementaire. Mais à la réflexion, aucune opposition n'est jamais dangereuse sur le plan parlementaire puisque, par définition, l'opposition est minoritaire. En revanche on peut, sur le plan électoral, redouter la victoire d'une opposition ferme et cohérente, alors qu'une poussière d'oppoBiblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL sitions ne semble pas fort à craindre. Telles sont du moins les apparences. Mais les choses p~raîtront très différentes si l'on examine la dynamique du système, c'est-à-dire si l'on observe l'action de l'opposition sur la majorité ou (ce qui revient au même) l'incidence du plan électoral sur le plan parlementaire. Ce que l'on constate alors, c'est que la majorité tend invinciblement à se modeler sur l'opposition. Si l'opposition a cent visages, la majorité sera contrainte de lui opposer cent visages et, tiraillée en tous sens, elle tendra à se fragmenter, à se rompre. En revanche, l'unité de l'opposition fait l'unité de la majorité. Cette observation n'est pas nouvelle, et Machiavel la formulait déjà dans son histoire de Florence, s'agissant des luttes politiques du x1ve siècle 2 , mais il n'est pas inutile de la renouveler. Quelle que soit la discipline initiale qui règne dans un parti, c'est, 1, à la longue, la situation électorale de chaque député qui pèse le plus sur son attitude. Des députés du centre droit, par exemple, se différencieront bientôt assez sérieusement si l'un a pour principal adversaire local un représentant de l'extrême droite, un autre un homme du centre gauche, un autre un communiste: le premier sera tenté par le nationalisme aveugle qui séduit une partie de ses électeurs, le second cherchera le centre de gravité des modérés locaux, le troisième pourra avoir besoin de voix de gauche, voire de voix socialistes. Et leur conduite à l'Assemblée ne pourra manquer de se ressentir de leurs perspectives électorales. On peut d'ailleurs prévoir que les représentants des diverses oppositions au sein de l'Assemblée susciteront aussi souvent qu'il sera possible les questions qui peuvent embarrasser telle ou telle fraction de la majorité. Le parti majoritaire sera sensible à_l'action de tous les partis et de tous les groupes de pression et, supposé qu'il conserve son unité, au lieu d'être pour ses dirigeants un ferme tremplin· de leur action politique, il devient le lieu de conflits, et il leur faut de plus en plus souvent se :;,rononcercomme arbitres entre des tendances ~1usou moins proches de tel ou tel groupe d' opposition.. -L'anarchie parlementaire n'a été éliminée qu'en apparence: une opposition diffuse la secrète au sein même du parti majoritaire. L'émiettement de l'opposition présente un autre trait qui n'est guère moins grave: c'est qu'il n'y a pratiquement pas de chance de vqir une majorité d'une autre tendance se substi~er à la majorité régnante. Une telle situation ~ des effets fâcheux tant sur la majorité que sur l~s groupes ,d'opposition. Chez ceux-ci parce que, comme on n'aperçoit pas d'ouverture pour une politique différente dans le cadre du régime, les groupes qui acceptent le régime tendent à s'affaiblir au}profit de ceux qui le combattent, et 2. Nous avons cité ce passage in Contrat social, mars 1959, p. 84.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==