YVES LÉVY l'on assiste à un glissement plus ou moins prononcé vers la droite et la gauche extérieures. Quant à la majorité, elle tend à s'identifier au régime, et s'il lui arrive de voir son audience se rétrécir, ne sachant sur quel front lutter (car chaque fraction du parti a son ennemi d'élection), elle s'affole, recourt aux mesures de détresse, et décourage ainsi quelques-uns de ses propres partisans. Elle précipite elle-même la chute d'un régime où elle se jugeait irremplaçable et où elle l'était en effet devenue. L'existence d'une opposition parlementaire prête à lui succéder en cas de défaillance, et qu'elle pourrait ensuite vaincre à son tour, est au contraire un facteur d'équilibre et de sagesse. Lorsqu'on joue sa dernière partie, on est tenté de ne plus suivre les règles, de vouloir gagner à tout prix. Mais la dernière partie n'est jamais définitivement gagnée, et elle ne peut même se terminer que lorsqu'on a définitivement perdu. Aussi est-il bon de savoir qu'on n'est jamais. en train de jouer sa dernière partie, que l'adversaire, s'il l'emporte, est d'avance résolu à vous accorder votre revanche selon la règle du jeu. Donc, qu'il s'agisse de la politique quotidienne, qu'il s'agisse du sort du régime, un parti majoritaire, certes, est précieux. Mais ce dont on a besoin plus encore, ce dont on a besoin par-dessus tout, c'est d'une opposition ferme et cohérente. ~- réfo_rme de l'Assemblée · ·· L~s. DONNÉES du problème sont désormais assez claires : il s'agit de restructurer l'Assemblée ~n renforçant la majorité, mais aussi en retirant à l'opposition son caractère diffus et protéiforme, de façon à rejoindre le premier ou le second type de parlementarisme. Le point essentiel est d'éliminer la droite et la gauche extérieures, et de rendre ainsi possible aux autres partis la conclusion de contrats de longue durée pour une action gouvernementale cohérente. Agir directement sur l'Assemblée, nous savons que la chose n'est pas possible. On ne peut la modifier qu'en agissant sur le corps électoral, en canalisant d'une certaine façon les votes qu'il émet, bref : en modifiant le mode de scrutin. La caractéristique fondamentale de tous les modes de scrutin qui ont été utilisés en France jusqu'à présent, c'est qu'ils accordaient des chances à tous les partis. Là est la source de l'anarchie ~arlementaire où nous n'avons cessé de vivre. St dans l'ensemble des circonscriptions se présentent des candidats de vingt partis différents, il est évident que, les circonstances locales favorisant telle ou telle nuance, les élus appartiendront à peu de chose près à vingt partis différents. Il sera donc malaisé de gouverner et, écœurés par la confusion, bien des électeurs glisseront vers les extrêmes. Et l'on eeut bien compter (encore que ce soit aléatoire) sur un Biblioteca Gino Bianco 331 engouement ou un enthousiasme exceptionnel pour voir se former un parti majoritaire. Mais nous savons qu'il n'y a pratiquement pas de chance de voir le miracle se reproduire une seconde fois, et qu'il n'y a du reste guère de chances de voir le parti majoritaire conserver durablement son unité: les partis anglais euxmêmes, en dépit de leurs solides traditions, sont bien souvent à la veille de se rompre, et si les ruptures ne se déclarent pas, c'est que le mode de scrutin les interdit : faire scission, ce n'est pas quitter son parti, c'est renoncer de force à la politique. Le scrutin majoritaire départemental n'aurait pas un effet différent des autres modes de scrutin que nous avons connus. A vrai dire il permettrait éventuellement (mais rien n'est sûr) à un parti ayant le vent en poupe de s'assurer une majorité à l'Assemblée. Mais il aurait de sérieux inconvénients. Le premier - et à vrai dire le moindre - serait de donner à beaucoup d'électeurs le sentiment d'une profonde injustice. Sans doute les électeurs ont-ils l'habitude de voir, au scrutin d'arrondissement, élire au second tour un candidat qui n'avait, au premier tour, recueilli qu'une faible proportion des suffrages. , Et si le second tour est triangulaire, peut-être cet élu sera-t-il loin d'avoir eu la majorité. 11n'y a point là de justice, mais l'application d'une technique. Les électeurs ont pourtant le sentiment que le résultat est juste, d'abord parce qu'ils sont accoutumés à cette technique et à ses résultats, et aussi parce qu'il n'y avait qu'un seul siège à attribuer. Mais qu'un parti, par exemple, enlève les quinze sièges d'un département avec quelques voix de majorité, cela surprendra, et il sera aisé aux adversaires de faire croire à leurs électeurs qu'il y a là un scandale et une injustice. Cela discréditera l'opposition qui se situe dans le cadre du régime au profit de celle qui s'oppose à lui. Le second inconvénient, c'est que ce· système peut bien, dans des circonstances favorables, donner à un seul parti la majorité dans l'Assemblée (encore est-ce incertain, et en cas d'échec on demeure dans la troisième variété), mais il est impossible qu'il crée une opposition ayant quelque consistance. Vraisemblablement, même, plus la victoire du parti majoritaire serait grande, et plus se réduiraient - on vient de le voir - les chances de constituer une opposition dans le cadre du régime. Or sans opposition, l'unité d'un parti majoritaire est une illusion et l'on ne tarderait pas à s'en apercevoir. Notre vieux scrutin d'arrondissement vaudrait certes mieux que la nouveauté dont il s'agit. En cas d'enthousiasme populaire, il aurait des effets à peu près semblables au scrutin départemental en ce qui concerne la majorité. Et pour les oppositions tl aurait des effets beaucoup moins f Acheux. Le cadre départemental, en effet, conçu pour accroître en faveur du principal parti les avantages du système majoritaire, aurait pour les
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