Le Contrat Social - anno V - n. 6 - nov.-dic. 1961

YV3~ LÉVY La structure de notre Assemblée SI DONC ON PREND conscience des nécessités du parlementarisme, on aperçoit que sa nature est déterminée par la structure de l'Assemblée, c'est-à-dire par le nombre et les caractères des partis qui la constituent. Aménager les rapports de l'Assemblée avec le gouvernement, cela n'est certes pas inutile, mais c'est un palliatif dont les effets ne sont sensibles que dans des circonstances favorables. L'œuvre fondamentale à accomplir est de transformer l'Assemblée. Notre Premier ministre a montré qu'il en était conscient lorsque, au commencement de l'actuelle législature, il voulut, d'un trait de peinture blanche, séparer la majorité de l'opposition. Ce fut un beau tollé, et M. Debré dut renoncer à son projet. Cela démontre-t-il que notre Assemblée ne peut être modifiée? Non certes. Mais cela démontre qu'on ne peut décréter à sa guise qu'une Assemblée de la troisième variété parlementaire deviendra une Assemblée de la première. On ne peut couper en deux l'Assemblée pour la transformer, mais il faut, à l'inverse, la transformer pour pouvoir la couper en deux. Et pour la transformer il faut changer son mode de formation, changer la technique du scrutin. Le lieu où il faut agir n'est donc ni entre l'Assemblée et le ministère ni au niveau de l'Assemblée, mais entre la nation et l'Assemblée. Personne ne le sait mieux du reste que notre Premier ministre, qui a, dans le passé, parfaitement exposé que la clef du parlementarisme est dans les modes de scrutin. Mais le chef du gouvernement semble ne se rappeler que par éclairs les conceptions du théoricien. Pour bien situer la question, brossons une esquisse de notre Assemblée, et tentons de définir le problème à résoudre. Notre Assemblée comprend sept partis ou groupes de partis : l'extrême gauche, la gauche, le centre gauche, le centre, le centre droit, la droite, l'extrême droite. Pour la commodité du discours, nous nommerons gauche extérieure et droite extérieure les partis de gauche et de droite qui sont hostiles au régime parlementaire. Inversement, la gauche et le centre gauche forment la gauche intérieure, la droite et le centre droit la droite intérieure. Nous l'avons rappelé plus haut, la gauche et la droite extérieures cherchent essentiellement à démontrer la malfaisance du parlementarisme, à l'empêcher de fonctionner. Au nom d'un nationalisme ou d'un socialisme chimiquement purs, ils dénoncent la collusion des partis les plus voisins avec d'autres plus éloignés, et le moindre compromis leur semble, de proche en proche, assurer le triomphe de l'ennemi. Ils exercent ainsi sur la gauche et la droite une pression assez efficace pour interdire une union loyale et durable soit entre les partis de la gauche intérieure, soit entre ceux de la droite intérieure, pour rendre très difficile l'entente de l'une des deux avec le Biblioteca Gino Bianco 329 centre, pour faire de l'alliance de ces ententes avec le centre droit (s'il s'agit de la gauche intérieure) ou le centre gauche (s'il s'agit de la droite intérieure) une mesure de salut public éminemment provisoire. Si les partis ne pouvaient pas du tout collaborer entre eux, le système ne serait pas viable. Mais si les pactes sont interdits, les ententes de fait restent possibles, et les actions communes occasionnelles sont parfaitement tolérées : l' électorat n'est pas choqué de voir, dans des cas particuliers, se mêler les bulletins de vote les plus divers. En revanche, chaque parti craint d'être accusé de trahison pour avoir, collaborant au pouvoir, fait des concessions à un parti voisin. Bref, cette collaboration des divers partis, que l'électeur belge ou danois accepte à l'échelon ministériel, n'indigne nullement l'électeur français lorsqu'elle se produit à l'échelon de l'Assemblée à l'occasion d'un vote particulier, pas plus qu'elle ne le surprend à son propre niveau lorsque, pour faire échouer un communiste ou un « fasciste », il reporte son suffrage p.'un modéré sur un radical, voire un socialiste, ou inversement. L'électorat français est donc parfaitement conscient de la nécessité de s'unir pour agir, et n'a point de répulsion absolue pour les ententes. Si nos partis ne peuvent signer les pactes, c'est essentiellement l'effet de notre structure parlementaire, l'effet du chantage permanent qu'exercent la droite et la gauche extérieures. Notre actuelle Constitution s'est efforcée d'éliminer ce chantage en simplifiant le problème. Elle a en partie pour objet de permettre soit à la droite soit à la gauche intérieures de gouverner sans être contraintes de chercher l'appoint du centre, voire (selon les cas) du centre gauche ou du centre droit. C'est là le sens des dispositions qui permettent au ministère de rester en place et de poursuivre sa politique tant qu'il n'a pas de majorité contre lui. C'est là l'essence de notre nouveau parlementarisme. Et lorsqu'en 1958 le général de Gaulle, en dépit de l'engagement qu'il avait pris, a changé le mode de scrutin et instauré celui que demandaient socialistes et radicaux, il imaginait, peut-on penser, que la première législature du nouveau régime prendrait la suite de la dernière législature du régime précédent, qu'un Front républicain actif et décidé succéderait à un Front républicain paralysé par le marginalisme de la troisième variété du parlementarisme. Ce qui sortit des urnes ne fut pas ce qu'on attendait. On ne dira ici ni ce qu'il fallait penser du vote du pays ni la façon dont le général de Gaulle l'interpréta. Constatons seulement que la majorité de droite - cette majorité que le Premier ministre avait cru pouvoir isoler de l'opposition, comme si notre Assemblée eftt appartenu au parlementarisme du premier genre - démontra bientôt ~ue notre Assemblée relevait toujours de la troisième variété. Il apparut aussitôt, en effet, que les forces de droite en général, et même

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