Le Contrat Social - anno V - n. 5 - set.-ott. 1961

LE CONGRÈS DU PROGRAMME par B. Souvarine « Tout pas fait en avant, tout mouvement réel importe plus qu'une douzaine de programmes. » K. MARX : Lettre à Wilhelm Bracke sur le programme de Gotha, 5 mai 1875. LE CONGRÈS communiste soviétique d'octobre n'avait à son ordre du jour que l'adoption d'un nouveau programme du Parti, à part les affaires de routine (rapports des organismes centraux, simulacres d'élections, salutations). Une intense et bruyante préparation de mise en scène devait conférer le maximum de solennité au lancement du prétendu « Manifeste communiste de notre temps». Mais à la surprise générale, tant dans le « camp socialiste » que dans l'absence de « camp impérialiste», les managers du Parti et de l'Etat soviétique en avaient décidé autrement : ils ont provoqué simultanément plusieurs coups de théâtre en déshonorant publiquement la mémoire de Staline, en s'acharnant inopinément sur le pseudo- « groupe antiparti », en dévoilant leurs dissensions avec les dirigeants communistes d'Albanie et, par implication, avec ceux de la Chine, enfin en faisant exploser une bombe atomique de puissancemonstrueuse sans aucune raison avouable. Ce qui détournait l'attention du programme pour le prestige factice duquel ils avaient mis en œuvre toutes les ressources de leur propagande. Ce qui oblige aussi la présente revue, au lieu de traiter exclusivement cette fois du programme présenté au Congrès, d'improviser brièvement sur le Congrès du programme. On ne saurait douter que l'accumulation des effets spectaculaires de cet Octobre mémorable réponde à des intentions bien délibérées dans le cercle intime de la « direction collective». Mais il est douteux que tout se soit passé conformément aux calculs ou aux espoirs de Khrouchtchev et de son équipe. Les doutes ne seront levés qu'après un délai suffisant pour observer les prolongements de la « ligne générale » dont le Congrès et ses lendemains n'ont tracé qu'une amorce. Il y a un lien visible entre la répudiation de Staline et de son culte, la condamnation du « groupe antiparti » comme exécuteur des hautes et basses œuvres de Staline, la rupture avec les Albanais imitateurs de la sanglante tyrannie stalinienne et enfin la brouille jusqu'à présent circonspecte avec les Chinois protecteurs de la BibliotecaGino Bianco version albanaise du stalinisme. Cependant le manque d'idéologie dans ce nœud de conflits que les communistes, et pas seulement eux, se plaisent à qualifier d'idéologiques pose plus de questions qu'il n'est possible de trouver de réponses immédiates. Les choses se compliquent d'autant plus que les vérités partielles révélées au Congrès coexistent avec le mensonge totalitaire et que la déstalinisation en cours n'entame pas encore le stalinisme fondamental comme système omnidespotique, même étant admis que le terrorisme sanguinaire de Staline ait fait place à une terreur mesurée. On l'a constaté au Congrès où une seule opinion à plusieurs voix se faisait entendre, assurée des applaudissements et des votes unanimes acquis d'avance. Aucune tête pensante ne saurait accepter que Staline soit seulement coupable des crimes avoués au Congrès alors qu'un tiers de la population a disparu de la courbe démographique ; ni que seulement quelques-uns de son entourage soient un « groupe antiparti » alors qu'ils ont été l'incarnation du Parti tout au long de leur carrière. Seul un Chinois a joui du privilège de prononcer une phrase pour réprouver la publicité donnée à une querelle intestine et pour faire, envers et contre tous, un geste dont la signification profonde n'a pas fini d'alimenter l'exégèse des rapports entre les deux puissances communistes, l'une réelle et actuelle, l'autre potentielle et à venir. On reviendra à loisir sur une matière aussi complexe. En quelques lignes, il n'est possible que d'écarter les hypothèses si en faveur dans la presse sur le pacifisme et le libéralisme de Khrouchtchev par opposition au bellicisme et à l'extrémisme de Mao : leur logomachie ne différencie ni leur commune idéologie, ni leur conception commune de la « coexistence pacifique», la seule dissemblance étant verbale et tactique, les bravades de Mao n'ayant d'inspiration que dans son impuissance à faire la guerre autrement qu'en paroles, même avec le concours ridicule de l'Albanie. Là gît l'essentiel, qui dissuade de céder au chantage communiste exercé sur plusieurs airs à la fois, de transiger avec Khrouchtchev au sujet de Berlin, avec Mao à propos des Nations Unies, sous prétexte d'exploiter leurs différends qui se ramènent à des volontés respectives de préséance incompatibles avec la

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