Le Contrat Social - anno V - n. 5 - set.-ott. 1961

LE CONTRAT SOCIAL l'avant-dernier numéro du Contrat social (maijuin 1961), leur auteur ne s'attendait pas à la justification éclatante que lui réservait le xxue congrès annoncé pour octobre. L'ANALYSE ~es discours de ce congrès exigera un certain temps. Sous le coup du compte rendu de la Pravda et des événements consécutifs dans l'immédiat, il faut retenir trois faits majeurs en ce qui concerne l'ignominie de ~taline.: la révélation publique des vérités parnelles Jusqu'à présent confinées à l'intérieur du Parti ; la vindicte retentissante exercée sur la momie de Staline, expulsée du mausolée de la place Rouge, enterrée à quelque distance; la débaptisation de Stalingrad et de nombreuses localités, voies publiques, entreprises et institutions portant le nom honni de Staline. Cette fois, ce sont moins Béria et Iéjov qui furent mis en cause que Molotov, Kaganovitch, Malenkov et Vorochilov, comme assassins sans vergogne de milliers de leurs camarades, étant entendu qu'ils n'étaient tous que les serviteurs de Staline. Le choix des noms prononcés d'un congrès à l'autre montre assez qu'il s'agit là de politique, non de justice, comme aussi les noms des victimes : à part Ordjonikidzé et son frère, déjà mentionnés en 1956, quelques militaires sont identifiés pour la première fois, Toukhatchevski et Iakir entre autres, ainsi qu'Alexandre Svanidzé, beau-frère de Staline. S'il a encore été question de l'assassinat de Kirov, sur quoi la lumière n'est pas faite après tant d'années d'enquête, et dont Staline prit prétexte pour perpétrer des tueries et des proscriptions horrifiantes, les orateurs du Congrès n'évoquent pas volontiers les millions de martyrs du stalinisme. Pour les besoins de leur cause, ils ont dévoilé l'histoire de 350 cheminots mis à mort sur un paraphe de Kaganovitch, lequel n'avait rien à refuser à Staline. Ils ont fait allusion aussi à des « affaires » meurtrières commises entre communistes à Léningrad, en Arménie, en RussieBlanche, plus spécialement par Malenkov. Mais combien faudra-t-il de congrès pour avouer enfin la vérité tout entière ? L'épisode macabre du mausolée, pour inattendu qu'il fût, répond à une logique indéniable et a le mérite de frapper l'imagination populaire. Son écho retentit à travers le monde, coupant court aux misérables divagations des cyniques, des brouillons et des suiveurs qui ont plus ou moins célébré ou admis le culte ignoble de la personnalité haïssable de Staline. L'inhumation de la momie sous le mur du Kremlin n'est peut-être pas définitive, car il y aura encore d'autres congrès communistes, et il reste beaucoup à dire. Il serait outrageant de mettre Staline au cimetière de Novodiévitchi où repose sa femme, Nadièjda Allilouieva, qu'il a assassinée (ou contrainte au suicide, ce qui est tout comme). Khrouchtchev n'a J'as l'air pressé de faire connaître cette « fin tragique », selon son expression quand il évite de préciser les circonstances. On peut supposer que Biblioteca Gino Bianco 251 ce sera pour le jour où la déstalinisation entrera dans la phase finale. En rayant de la géographie et de l'histoire le nom de Stalingrad, symbole du plus grand mensonge imaginable, les staliniens de la « direction collective » prennent une mesure de salubrité méritoire, quels que soient leurs mobiles. Ils n'ont pas dû s'y résoudre à la légère, mais la hardiesse de la décision est à proportion du mythe odieux qu'il fallait détruire. On ne saurait désormais philosopher sur la dernière guerre mondiale sans vouer à l'exécration de la postérité les noms maudits d'Hitler et de Staline, sans déshonorer le charnier gigantesque où les deux potentats vicieux ont sacrifié leurs armées comme du bétail mené à l'abattoir. Il est excellent que la souillure du nom de Staline soit lavée partout, dans les villes et dans les villages, du fronton des plus fiers édifices jusqu'aux pancartes des plus humbles kolkhozes. Les jeunes générations qui assistent ou participent à cette catharsis en tireront, veut-on croire, un profit moral et intellectuel qui se fera sentir en politique tôt ou tard. Depuis le discours secret de Khrouchtchev, la révision des notions reçues sous Staline s'est traduite dans les dictionnaires et encyclopédies soviétiques, dans les lettres et les arts, dans les manuels scolaires et les livres d'histoire. Après ses récents discours publics, de nouvelles révisions s'imposent, plus approfondies, plus complètes, parallèlement à l'expurgation des bibliothèques, tâche immense en perspective, qui donne le vertige. Des millions et des millions de livres et opuscules sont à mettre au rebut, au pilon. La Grande Encyclopédie Soviétique, dont près de quarante volumes étaient antérieurs au déboulonnage du maniaque, est à refaire de fond en comble pour les rubriques trop contaminées de stalinisme personnel. L'histoire du Parti a été récrite, mais il va falloir la recommencer. Le difficile est de qualifier en langage adéquat tant de choses aussi monstrueuses. Quant au monument aux victimes de Staline dont l'idée a jailli avec la « spontanéité » qui caractérise toutes les initiatives de ce genre, celle qui concernait le mausolée comme celle qui visait Stalingrad, il doit poser un problème d'inscriptions que l'effronterie stalinienne seule permettra de résoudre : on peut compter sur les épigones. Un mot mémorable de Malenkov a été rapporté par Catherine Fourtseva au Congrès, à propos de la réhabilitation de Toukhatchevski impliquant celle des milliers d'officiers exterminés par Staline et ses complices : « Nous donnerons notre propre version des choses. Nous sommes chez nous au Comité central », dit Malenkov, précisément un des complices. La Pravda a censuré cet aveu dépourvu d'artifice. Depuis nombre d'années, les communistes donnent aisément et impunément leur « propre » version des choses. Staline a donné la sienne, Khrouchtchev en donne une autre. Ce n'est sfl.rementpas la dernière. B. S.

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