Le Contrat Social - anno V - n. 5 - set.-ott. 1961

250 DÈS la fin de Staline en 1953, il fut évident pour de rares observateurs compétents et attentifs que le mensonge forgé pour exalter sa personne abjecte et justifier son despotisme effréné n'allait pas lui survivre. En effet son nom disparut comme par enchantement des publications où il pullulait naguère, ses plus proches compagnons firent silence sur sa vie comme sur sa mort, aucun n'écrivit à son sujet les moindres souvenirs ou mémoires, personne ne citait plus sa prose écœurante qui d'ailleurs n'était plus en vente ni distribuée gratis, on cessa de publier ses «œuvres » et de rééditer ses brochures qui récemment se répandaient à millions d'exemplaires. Il y eut dans les dictionnaires des corrections significatives. Dans la Pravda, de très rares articles visiblement écrits à contre-cœur lors des anniversaires, morne répétition de clichés indigestes, jalonnèrent trois années jusqu'au xx:e congrès du Parti en 1956, soulignant encore le contraste avec l'insupportable concert de louanges hypocrites, dictées sous la terreur, de l'époque précédente. Le discours secret ·de Khrouchtchev à la fin de ce congrès, réservé d'abord aux cadres du Parti, lu ensuite à la va-vite dans les réunions du rank and file communiste, divulgué à l'étranger en juin 1956, mais qui ne fut jamais imprimé à -l'usage du lecteur soviétique, ce discours inaugura une phase nouvelle de déstalinisation relative combinée avec un stalinisme congénital et jugé indispensable au maintien de l'ordre. Au nom de la direction collective qui n'était pas unanime, mais dont la minorité subissait la règle de discipline, Khrouchtchev dénonça le « culte de la personnalité » en se référant à quelques lignes de Marx et d'Engels exhumées pour la circonstance. Mais ceux-ci les avaient écrites sincèrement à propos d'hommages sincères, ce qui n'a rien de commun avec la répudiation feinte de flatteries serviles sous menace de tortures et de mort. Toujours est-il que Khrouchtchev, après cela, s'abrita 1 derrière le «testament» de Lénine qui, dès 1922, mettait en garde contre la brutalité, l'arbitraire et la félonie de Staline, document publié en Occident mais dénoncé comme faux pendant trente ans par les communistes qui, depuis cinq ans, le citent · à tout bout de champ. Ces précautions étant prises, Khrouchtchev en venait à l'essentiel. L'essentiel, c'est-à-dire la révélation des atrocités innommables commises par l'autocrate lâche et cruel du Kremlin, les exécutions en masse de personnes innocentes, les violences et les supplices infligées à des milliers de communistes irréprochables, les aveux arrachés de force aux victimes soumises à des tourments indicibles, les massacres innombrables ordonnés sans rime ni raison tout au long de l'ère stalinienne. Même les trotskistes, les zinoviévistes, lesboukharinistes et autres objecteurs que Khrouchtchev traite par habitude d'ennemis du léninisme, il les disculpait entièrement des accusations folles inventées à leur encontre. 11 ne laissait aucun doute quant au caracBiblioteca Gino Bianco - LE CONTRAT SOCIAL tère démentiel, paranoïaque, du comportement de Staline, quant à la mégalomanie et à l'égocentrisme pathologique de l'énergumène obtus qui se voulait omniscient et fonda son omnipotence sur des montagnes de cadavres. Après le discours secret, rien ne subsiste des mensonges éhontés qui avaient servi à créer de toutes pièces une réputation militaire à Staline, · pleutre invétéré qui se tint t?ujours .loin ~u front, stratège aveugle et sourd et 1nhumam qui fi.t tuer inutilement des millions d'hommes. Il fallait que ces choses-là fussent dites, et prouvées, par un de ses fidèles serviteurs les plus proches. Khrouchtchev illustra son exposé de plusieurs cas individuels qui font frémir, ceux de stalinistes notoires et éprouvés qui ont péri sous d'intolérables sévices. Comme principaux complices directs de Staline dans ces horreurs, il ne désignait alors que Béria et léjov. Parmi les rares précisions données, l'une signale qu'en deux ans, 383 listes de militants " condamnés d'avance, contenant plusieurs milliers de noms, listes établies par léjov (un fou déclaré), avaient été ratifiées par Staline ; une autre indique 7 .679 réhabilitations, la plupart à titre posthume, à la date de février 1956. On manque de statistiques complètes et Khrouchtchev est avare de renseignements sur les millions d'innocentes victimes anonymes. Parmi les révélations du fameux discours, il faut ici rappeler celles qui ont trait à la fa·çondont Staline s'attribuait des mérites imaginaires, romançait sa propre biographie, se décernait à lui-même des éloges dithyrambiques, renchérissait sur les flagorneriesde ses courtisans et domestiques, améliorait l'histoire du Parti et de la Révolution en y interpolant d'invraisemblables épisodes inventés à sa gloire. Il s'était ainsi érigé en héros de la guerre dont il partage la responsabilité avec Hitler, lui qui n'ayant rien prévu passa outre aux avertissements de Churchill et d'autres, fit confiance à Hitler même quand les armées allemandes eurent franchi les frontières soviétiques, puis fut pris de panique et resta prostré dix jours avant de pouvoir articuler son premier discours*. Pour comble d'imposture, sa propagande sans scrupules réussit à accréditer en Occident la fable grossière de son génie et de son humanitarisme, répétée par des millions de perroquets et d'imbéciles. « On osa, en Amérique, l'appeler Uncle Joe. Ses pitoyables victimes furent vouées aux gémonies. Son nom déshonore toujours en France des rues et des places. On glorifie encore l'innommable carnage de Stalingrad, œuvre atroce de deux paranoïaques » : en écrivant ces lignes pour , • Le 3 juillet 1941, alors que l'agression allemande commença le 22 juin. Cf. · J. Staline : Sur la grande guerre de l'Union soviétiquepour le salut de la patrie, Moscou 1946, p. 5. La date corrobore bien le récit de Khrouchtchev. Quant aux désastres militaires sans précédent dus à Staline, suivis de pertes hallucinantes en hommes et en matériel, les historiens soviétiques commencent à peine à les découvrir, mais ils semblent en bonne voie depuis une autorisation d'en haut récente.

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