rev11e historique et critique des faits et des idées Sept.-Oct. 1961 Vol. V, N° 5 IGNOMINIE DE STALINE « Et ton nom paroîtra, dans la race future, Aux plus cruels tyrans une cruelle injure. » Britannicus, V, VI. IL EST malaisé de saisir avant quelque recul un fil conducteur dans la succession et l'accumulation des monstruosités apparues à l' occasion du congrès tenu par les communistes à Moscou, du 17 au 31 octobre. Car les bribes de vérité surgies à propos de tout et de rien baignent dans le mensonge général et ce que l'on appelle déstaHoisation, faute de mieux, s'accomplit selon les procédés comme dans le style du staHoisme. Ce congrès communiste qui se dit le xxne, en réalité le xvie puisque le Parti ne se nomme communiste que depuis le vne congrès socialdémocrate de 1918, n'était pas un congrès au sens admis du terme : près de cinq mille individus sélectionnés par cooptation et dressés à approuver aveuglément leurs dirigeants ne sont évidemment pas des congressistes. A l'ordre du jour, le point principal était le nouveau programme du Parti, véritable monstre du genre, texte informe tissé de monstruosités de toutes sortes, dans l'ordre intellectuel, politique et économique : or l'attention de l'assemblée comme celle du public soviétique et celle du monde extérieur a été détournée par les meneurs vers un autre monstre et d'autres monstruosités. Un spectre a hanté le congrès, le spectre de Staline. Pour des raisons qui ne sont pas encore claires, Khrouchtchev et ses associés de la direction collective ont jugé nécessaire de proclamer en public l'indignité de Staline, de déshonorer sa mémoire, de détruire sa légende. Ils n'ont encore dit qu'une infime partie de la vérité en ne mentionnant que que~es crimes odieux du tyran paranoïaque, en ne ignaot que quelques victimes de marque : Biblioteca Gino Bianco Ordjonikidzé, Toukhatchevski, Svanidzé, Iakir. Ils en ont dit davantage en accusant Molotov, Kaganovitch, Malenkov et Vorochilov de crimes multiples, de crimes en série, commis pour complaire à leur maître sadique. Ils ont menti par omission en s'abstenant de parler des principales victimes de Staline, si l'on ne considère que les personnalités, celles qui formaient les cadres du parti de Lénine, et en passant sous silence les millions de victimes obscures du régime. Ils ont menti explicitement en imputant au cc culte de la personnalité » la sinistre kyrielle d'atrocités dont ils voudraient prévenir le retour. Mais par des actes aussi symboliques et spectaculaires que l'épuration du mausolée de Lénine et l'effacement du nom de Stalingrad, ils provoquent sans doute dans la population soviétique de salutaires troubles de conscience dont nul ne saurait prévoir les suites à long terme. Le renversement de l'idole immonde par les idolâtres eux-mêmes ne fait que commencer. Il y a beaucoup de séquelles à l'idolâtrie, qui ne s'élimineront qu'avec le temps, avec une raiùmation de l'esprit critique chez les peuples soumis aux dogmes du pseudo-« marxisme-léninisme », sans parler de la réforme ou de l'évolution nécessaire du système politique en vigueur. Les démocraties occidentales pourraient et devraient grande1nent contribuer à ce processus de normalisation indispensable à une réelle « coexistence pacifique», purgée de toute hostilité virulente envers les pays libres. Mais la carence ou l'incompréhension des gouvernants, l'ignorance ou la corruption des politiciens, l'égoïsme des possédants, l'avilissement de la presse et l'apathie de l'opinion publique n'y laissent rien espérer sous ce rapport et, par conséquent, on ne peut que spéculer sur les crises, les modifications, les phénomènes internes qui cheminent sourdement dans le monde communiste sous le masque de l' « unité monolithique ».
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