Le Contrat Social - anno V - n. 5 - set.-ott. 1961

.Documents PROGRAMME SOCIAL-DÉMOCRATE, 1903 Le premier programme du parti social-démocrate ouvrier de Russie, adopté au 2e congrès de ce parti en 1903, avait été rédigé par Georges Plékhanov et présenté collectivement au Congrès par la rédaction de l'lskra dont Lénine était un des six membres. On en donne ici la première traduction française. Il s'apparente étroitement, comme déjà dit dans notre numéro précédent, au programme d'Erfurt de la social-démocratie allemande et à celui du « parti ouvrier français » de Jules Guesde et Paul Lafargue. Par contraste avec le verbiage incontinent des communistes actuels, il faut noter sa brièveté relative, dans la vraie tradition marxiste qui n'a rien de commun avec le pseudo-« marxisme-léninisme » de nos jours : le programme· d'Eisenach (1869) tenait en deux pages, celui de Gotha (1875) en trois, celui d'Erfurt (1891) en six, celui des marxistes français (Roanne, 1882) en moins de quatre. S'il est vrai que le texte ci-dessous se distingue des autres programmes social-démocrates par le passage relatif à la dictature du prolétariat, il est non moins vrai que cette notion très vague, empruntée par Marx et Engels à Blanqui, était alors et reste encore étrangère à ce que la révolution d'Octobre devait réaliser sous ce mot d'ordre. Dans leur Manifeste de 1848, Marx et Engels prévoient la « transformation du prolétariat en classe dominante », non l'annihilation violente de tout ce qui n'est pas prolétaire, encore moins les tueries et les déportations d'ouvriers et de moujiks accomplies sous Lénine et surtout sous Staline. Dans La Lutte des classes en France, 1850, Marx écrit : « ••• Le prolétariat se groupe de plus en plus autour du socialisme révolutionnaire, autour du communisme auquel la bourgeoisie elle-même a accolé le nom de Blanqui. Le socialisme, c'est la révolution permanente, la dictature de classe du prolétariat, degré nécessaire qu'il faut franchir pour atteindre à la suppression générale des différences de ciasse. » On voit que pour Marx, socialisme et communisme sont synonymes et que l'idée de « révolution permanente » est bien antérieure à Lénine et à Trotski ; on voit aussi que pas un mot de Marx ne justifie la dictature d'un parti, ni celle d'une « oligarchie », ni le pouvoir discrétionnaire d'une police secrète exerçant une terreur sans limite. La pensée de Marx et Engels se précise en 1871 quand la dictature du prolétariat leur apparaît sous les traits de la Commune de Paris dont le libre régime électif et décentralisé offre le plus saisissant contraste avec le système soviétique de centralisme autoritaire et de cooptation imposée de haut en bas. Dans sa préface à La Guerre civile en France, Charles Longuet, ex-proudhonien converti au marxisme et traducteur de cet écrit célèbre de Marx, écrivait en 1900 : « ...Il n'est pas douteux que le fait historique de 1871 a donné son véritable sens à la formule équivoque, trop simpliste en tout cas, de 1847 : dictature du prolétariat. Aucun marxiste digne du nom n'a le droit aujourd'hui - ni l'intention, je pense - d'attribuer aux auteurs du Manifeste communiste l'idée de substituer à la domi- - Biblioteca Gino Bianco nation de la classe bourgeoise le despotisme de la classe ouvrière ... » (pp. XVIII-XIX de la 1re éd. fr. intitulée La Commune de Paris, Paris 1901). Pour comprendre ainsi la pensée de son beau-père, Ch. Longuet était singulièrement plus qualifié que Lénine. Tous les socialistes sérieux d'avant 1914 ont su, en lisant cette préface de Ch. Longuet, ce que Marx disait du marxisme de ses épigones. « Il n'y a guère de maître qui n'ait été involontairement trahi par l'un ou l'autre de ses disciples », remarquait Ch. Longuet raillant « l'innombrable tribu, plus fervente et plus redoutable [que les traducteurs], des vulgarisateurs, commentateurs et exégètes. Nul n'en était, par sa culture et son érudition philosophique, mieux averti et plus persuadé que Marx lui-même. On connaît d'ailleurs sa spirituelle boutade à propos de certaines applications ou réalisations de sa doctrine: " Toujours est-il que moi, je ne suis pas marxiste." C'est le pendant du mot, plus brutal, de Proudhon : "On me dit qu'il y a, je ne sais où, des gens qui se disent proudhoniens. Ce doit être des imbéciles... " » Ch. Longuet ne se trompait qu'en prenant la parole de Marx pour une boutade. Une parole dite et répétée par Marx à Lafargue et à Longuet, ses gendres et disciples, écrite par Engels à Edouard Bernstein en 1882, donc du vivant de Marx, réitérée par Engels dans une lettre à Lafargue en 1890, une telle parole n'est pas une boutade, mais bien une des choses les plus sensées que Marx ait dite. Ce qui nous autorisait à observer dans notre dernier numéro que le programme social-démocrate de 1903 était marxiste au sens désavoué par Marx. Quant au mot pertinent de Proudhon, auquel Marx aurait pu souscrire, il s'applique non seulement aux proudhoniens, mais tout particulièrement à notre époque aux « marxistes-léninistes », aux trotskistes » et autres « istes » qui ont renié les principes démocratiques du socialisme pour idéaliser les pratiques odieuses et dégradantes de l'absolutisme perpétué par la terreur au service d'une nouvelle classe de parvenus, exploiteurs du proléta~at. Le développement des échanges a établi des liens si étroits entre les peuEles du monde civilisé que le grand mouvement d émancipation du prolétariat devait devenir et depuis longtemps est devenu international. Se considérant comme une des sections de l'armée m9ndiale du prolétariat, la socialdémocratie de Russie s'assigne le même but final que celui des social-démocrates de tous les pays. Le caractère de la société bourgeoise moderne et le cours de son évolution déterminent ce but final. La production marchande fondée sur les rapports de production capitalistes est la carac-

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