A. PATRI préter » le monde comme l'ont fait les exploiteurs des anciens temps, mais de le « changer ». C'était déjà le mot d'ordre du jeune Marx à la fin des Notes sur Feuerbach. On invoque aussi l'appel plus ancien lancé par Descartes dans le Discours de la Méthode au génie de la science « pratique », en opposition précisément à l'esprit de la scolastique que nous aurions évoqué tout de travers en tout ce qui précède 19 • Nous sommes en mesure de prouver que c'est Descartes qui est interprété de travers, puisqu'en dehors des bons conseils donnés aux chercheurs, on ne connaît à son actif aucune invention « pratique », mais seulement des découvertes théoriques, comme celles de la Géométrie (analytique), de la Dioptrique (optique) et des Météores, dont l'exposé fait suite au texte du Discours de la Méthode dans la première édition. Descartes, affligé du néfaste esprit bourgeois de la « science pure », n'était qu'un théoricien. Le texte où il fait appel à la science «pratique» demeure pourtant. Mais il ne faudrait pas dépasser le niveau intellectuel de Rosenthal et Ioudine - toise à laquelle certains, dans les pays libres, souhaiteraient ramener l'esprit de leurs élèves pour être plus certains de les conduire dans la Lune - pour ne pas entendre que le pressentiment génial de Descartes est celui d'une « science appliquée » issue d'une « science pure » enfin libérée des entraves de la scolastique. De nos jours (depuis la seconde moitié du siècle dernier), c'est la « science pure» qui commande l'industrie devenue « science appliquée», alors qu'au cours des temps précédents c'était la relation inverse (Edison succède à Hertz et à Ampère, alors que Denis Papin avait précédé 19. Discours de la Méthode, 6e partie. C'est le texte tant de fois cité, que les maîtres staliniens font ânonner à leurs élèves : u Au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique ... » Rappelons que, dans ce contexte, « philosophie » veut dire • physique "· Biblioteca Gino Bianco 285 Carnot, le théoricien de la thermodynamique). L'apparente exception soviétique d'une « science appliquée » en considérable avance sur une « science pure» jugulée par le contrôle policier, confirme la règle contemporaine. En effet, la science appliquée soviétique exploite les conséquences des découvertes théoriques des autres, précisément de ceux dont elle récuse les principes. Elle ne possède aucune infrastructure théorique qu'elle puisse revendiquer en propre. La théorie dont elle se prévaut officiellement, dite << matérialisme dialectique», n'a aucune application technique connue, sauf peut-être l'art d'avocasser en faveur d'l.ltle mauvaise cause (côté « dialectique »). Et si le monde entier était soumis à un contrôle scolastique comme celui qui pèse sur les théoriciens soviétiques, on peut prophétiser sans crainte que la stagnation technique en résulterait bientôt. Considérant attentivement ce point, on voit surgir le péché capital de Lénine, révolutionnaire politique et social, réactionnaire culturel, promoteur d'une scolastique sans excuse historiquement valable. Et c'est, croyons-nous sincérement, le seul motif qui autoriserait à s'insurger légitimement contre la comparaison que d'aucuns pourraient trouver gratuitement injurieuse pour la mémoire du grand Aquinate, maître des Ecoles de la chrétienté en un temps où il s'agissait d'abord de préserver l'héritage du passé. Mais peut-être la plus grande tristesse vientelle d'avoir à constater ce que le «marxismeléninisme » a fait du « marxisme », que l'on croyait appelé à rénover les sciences humaines et dont nous n'avons même pas eu l'occasion de parler dans cette étude, en le considérant en cette qualité. Et c'est sans doute en prévision du léninisme théorique et pratique que Marx avait cru bon de se munir d'avance contre l'étiquette« marxiste». AIMÉ PATRI.
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