Le Contrat Social - anno V - n. 5 - set.-ott. 1961

M. COLLINET opprimées doivent obtenir la possibilité de détendre leurs membres ankylosés sous les chaînes de la contrainte capitaliste» (p. 137). Autrement dit, la liberté et l'indépendance de ces peuples ne devaient être qu'un court intermède entre le vieil impérialisme capitaliste et tsariste et le néoimpérialisme du communisme totalitaire. A l'indépendance nationale, selon lui « but en soi » des « fanatiques et des charlatans», Trotski opposait « la fédération soviétique (...) qui accordera entre eux de la façon la plus harmonieuse les besoins nationaux et les besoins économiques ». Mais cette « harmonieuse » fédération supprimait toute démocratie à l'intérieur et cooptait par la violence les peuples à l'extérieur. La résistance des Géorgiens fut tenace et héroïque : en 1924, leur soulèvement fit trois mille morts et, suivant l'expression de Staline, la Géorgie dut être « labourée de nouveau » 13 • Staline et son bras droit Béria traitèrent les Géorgiens comme les autres citoyens de l'Empire soviétique, c'est-à-dire comme des bagnards en fait ou en puissance : après le massacre des menchéviks, disparurent les communistes de Géorgie qui s'étaient crus les bénéficiaires de la conquête, puis ce fut le tour des créatures de Béria, comme chaque jour celui de nouveaux chefs des prétendues Républiques fédérées. Tout cela conformément à la Constitution dite «la plus démocratique du monde », qui définit en son article 13 !'U.R.S.S. comme «l'Union librement consentie des républiques socialistes soviétiques égales en droit ... » Cette Constitution date de 1936, mais en décembre 1922, Lénine, indigné des méthodes de Staline, estimait que le droit de sécession accordé aux nationalités« sera un chiffon de papier, impuissant à défendre les allogènes de Russie contre l'invasion de ces vrais Russes, chauvins, grandsrussiens, lâches et tortionnaires par essence, comme l'est le typique bureaucrate russe» 14 et il le traitait de « goujat brutal au service d'une grande puissance». Lénine mort, Staline devenu tout-puissant devait montrer que sa brutalité originelle irait jusqu'au génocide. Staline et la russification DANS les années difficiles du régime soviétique, quand la guerre civile .faisait ~age?le p_arti~olchévique ab~orb3:certains partis revolutl?nnaires d'esprit nationaliste comme les borotb1stes de cette Ukraine que Lénine consentait encore en 1919 à voir se constituer en Etat 3:1lié à la Rus~ie. A la création de !'U.R.S.S., l'Ukraine commuruste abdiqua ses droits à l'indépendance politique tout en conservant, durant la nep, des libertés culturelles appréciables, dans la mesure où 13. Cit~ par Trotski : Staline, Paris 1948, p. 412. 14. Cf. Staline, par B. Souvarine, p. 289. Biblioteca Gino Bianco 277 celles-ci ne mettaient pas en question le monopole idéologique du Parti. Mais à partir de 1927 la russification commença : la langue russe devint officielleet obligatoire ; la collectivisation des terres, la liquidation des oppositions, quelques années plus tard, eurent comme corollaire la répression qui s'abattit sur les communistes allogènes, accusés ou de trotskisme, ou de« nationalisme bourgeois». Les partis furent épurés, leurs dirigeants exécutés ou déportés et remplacés généralement par des Gr~dsRussiens ou des allogènes suffisamment russifiés. Le seul maître devint le bureau politique du Parti russe, c'est-à-dire Staline et sa clique. Pas plus que les dirigeants communistes des Républiques fédérées, écrivains et artistes n'échappèrent aux purges pour avoir évoqué les légendes épiques et les trésors folkloriques de leur nation _ 15 • La colonisation tsariste, jadis objet de la haine communiste, fut au contraire présentée comme une « étape progressiste de l'histoire », approuvée par les classes populaires des pays annexés et combattue par leur seule aristocratie réactionnaire. La guerre poussa jusqu'à l'hystérie chauvine le patriotisme grand-russien. Staline présenta la victoire sur le Japon en 194 5 comme une revanche de 1905 : «Pendant quarante ans, nous avons, nous, hommes de la génération précédente, attendu ce jour 16 • » Et pour Staline comme pour les fonctionnaires du régime, le peuple grand-russien fut le plus éminent de l'Union 17 , appelé par l'histoire à diriger les autres. Ainsi Staline qui, avant Octobre, avait défendu le droit des peuples à se séparer du peuple russe, et qui, à l'article 17 de la Constitution de 1936, avait introduit le droit de sécession, fut un artisan de la russification plus actif que les tsars. Pas plus que les libertés politique, intellectuelle ou économique, les autonomies nationales ne sont compatibles avec un régime totalitaire où tout procède du sommet du Parti et où tout y conduit. La russification fut menée à vive allure dans les territoires annexés au début et à la fin de la guerre. Dans les pays Baltes, les anciens dirigeants politiques et l'intelligentsia furent d'abord frappés, puis les paysans chassés par la collectivisation. Dès 1940 commençait la déportation et elle continua de 1945 à 1952 : environ 25 % de la population, soit 1 ,5 million de personnes, furent chassées de leur pays et remplacées par des Russes qui occupent les situations sociales prépondérantes. On sait qu'à côté des Républiques fédérées, auxquelles est attribué en théorie le droit de sécession, il existe des Républiques dites autonomes qui ne le possèdent pas ; mais leur existence n'en est pas pour autant garantie. A preuve 15. Cf. Walter Kolarz: La Russie et ses colonies, Paris 1954. 16. Discours du 2 septembre 1945, cité par Bertram D. Wolfe : Lénine et Trotski, Paris 1951. 17. l11vcstia, 25 mai 1945 ; Bolchévik, n° 14.

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