Le Contrat Social - anno V - n. 5 - set.-ott. 1961

M. COLL/NET nalités. Deux thèses sont en présence : l'une, conforme à celle des Polonais, est défendue par Piatakov et Dzerjinski; l'autre est celle de Lénine, rapportée par Staline et qui est adoptée à une grande majorité. Piatakov soutient le point de vue que Rosa Luxembourg exposera l'année suivante dans sa brochure La Révolution russe : l'indépendance des nations de l'Empire russe ne peut que favoriser la réaction ; le socialisme n'a pas à aider à la création de nouvelles frontières. «Nous sommes indifférents, nous sommes neutres envers le mouvement séparatiste », réplique Lénine, qui ajoute : « Si la Finlande, la Pologne, l'Ukraine se séparent de la Russie, nous n'y verrons aucun mal. Quel mal y verriez-vous ? Chauvin qui le dira 5 • » Le bolchévik grand-russien et son camarade d'une minorité allogène doivent agir différemment : le premier préconisera l'autodétermination du peuple opprimé, le second insistera pour que la nation allogène pratique l'union politi~ue avec son ancien oppresseur devenu son allié. Dans le futur programme du Parti, Lénine propose l'article suivant : « Le droit de se séparer librement et de se constituer en Etats indépendants est reconnu à toutes les nationalités faisant partie de l'Etat. La République du peuple russe doit attirer à elle les peuples ou les nationalités, non par la contrainte, mais exclusivement par la libre entente sur la création d'un Etat commun. L'unité et l'alliance fraternelle des ouvriers de tous les pays ne s'accommodent ni d'une violence directe, ni d'une contrainte indirecte exercée sur d'autres nationalités » ( souligné par nous) 6 • Staline, tout en préconisant le maintien d'une Transcaucasie autonome à l'intérieur de la République russe, ajoute cette précision : « Si les peuples de la Transcaucasie réclamaient néanmoins la séparation, ils se sépareraient certainement, sans rencontrer aucune opposition de notre part » ( souligné par nous) 7 • La révolution d'Octobre et les peuples allogènes EN RÉALITÉl,es bolchéviks ne furent jamais «neutres» ni «indifférents» devant les révoltes nationales. En Finlande, ils appuyèrent les séparatistes qui s'y trouvaient en écrasante majorité. En Ukraine, ils préconisèrent la formation d'un Etat indépendant avec les nationalistes et les révolutionnaires ukrainiens « borotbistes » 8 • En 5. Œuvres, Paris 1928, tome XX, p. 324 (en français). 6. Ibid., p. 344. 7. Rapport présenté à la 7e conférence du P.O.S.D.R., inséré dans Le marxisme et la question nationale. 8. Aile gauche du parti socialiste-révolutionnaire ukrainien, ayant pour organe Borotba (« la Lutte ,,), qui gagna la majorité de ce parti, exclut l'aile droite et, en 1919, se dénomma ,, parti ukrainien des socialistes-révolutionnaires communistes borotbistes », puis fusionna avec les social-d~mocrates ukrainiens de gauche pour constituer le • parti communiste ukrainien (borotbiste) •, àlne pas confondre avec le « parti communiste d'Ukraine (bolch~vik) "· Biblioteca Gino Bianco 275 toutes circonstances, ils accusèrent le gouvernement de Kérenski de poursuivre la russification. Quant aux menchéviks géorgiens, dénoncés par les bolchéviks comme nationalistes, ils se refusaient alors à séparer leur pays de la future République démocratique panrusse. Il fallut le coup d'Etat bolchévique pour que s'inversent les attitudes politiques des uns et des autres. La Déclaration des droits des peuples de la Russie codifiait les thèses antérieures de Lénine : égalité et souveraineté des peuples, droits des peuples à disposer d'eux-mêmes et de se constituer en Etats indépendants, autonomie des minorités nationales disposées à faire territorialement partie de la Russie, etc. Quelques jours plus tard, Lénine répudiait toute tentative qui porterait atteinte aux traditions et aux mœurs des peuples musulmans. Le gouvernement soviétique reconnut l'indépendance de l'Ukraine, tout en envoyant ses gardes rouges contre la Rada (Assemblée nationale) ukrainienne, favorable à une grande coalition socialiste démocratique et à un statut fédératif. Contre le bolchévisme, la Rada demanda une aide à la France, puis à l'Allemagne. Prise entre les armées allemandes, qui imposèrent un régime réactionnaire, et les armées rouges, l'indépendance ukrainienne sombra dans une longue guerre civile de trois ans où s'affrontaient bolchéviks, anarchistes, partisans de Petlioura ou de Skoropadski, etc., sans parler des troupes allemandes, et plus tard des troupes polonaises. La bolchévisation de l'Ukraine fut pour l'essentiel l'œuvre de l'Armée rouge soutenant les communistes ukrainiens contre leurs multiples adversaires. L'annexion de la Géorgie LAPRÉSENCdEe l'Armée rouge en Ukraine peut trouver son prétexte dans l'aide apportée aux soviets bolchévisés ; supprimant les autres soviets, elle mettait au pouvoir les communistes et les révolutionnaires borotbistes devenus leurs alliés. Mais la conquête de la Géorgie par l'Armée rouge, puis l'annexion de cette petite nation, ne sauraient trouver ni leur justification dans une révolution communiste inexistante ni leur excuse dans la fable ridicule d'une menace que les Géorgiens auraient fait peser sur la Russie soviétique. , La Géorgie était gouvernée par les menchéviks qui, aux élections à la Constituante panrusse, avaient obtenu 640.000 voix contre 24.000 aux bolchéviks. Leur leader I. Tserctelli avait joué un rôle important dans les premiers soviets de 1917 et avait été ministre dans le Gouvernement provisoire. Les menchéviks géorgiens ne nourrissaient aucune visée séparatiste ; mais la dissolution de la Constituante, l'étouffement des libertés et la terreur rouge les amenèrent à considérer le pouvoir bolchévique comme un ennemi plus dangereux 9ue les Turcs eux-mêmes. Ils proclamèrent l'indépendance de la Géorgie en mai 1918.

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