K. PAPAIOANNOU Ce qui fait environ 2.400 roubles au cours nominal et 6.000 roubles au cours actuel. Ceux des bolchéviks qui proposent, par exemple, dans les municipalités, les traitements de 9.000 roubles au lieu de proposer pour l'ensemble de l'Etat un maximum de 6.000 roubles - somme suffisante - commettent une erreur impardonnable (p. 225). Pendant les dix premières années de son existence, le régime a pu tant bien que mal éviter cette « erreur impardonnable » : d'une part, les organisations ouvrières étaient encore suffisamment fortes pour résister plus ou moins efficacement à la différenciation poussée des salaires et des traitements ; d'autre part, celle-ci était rendue impossible par l'exiguïté du revenu national. Ainsi, à la veille de l'industrialisation, le rapport des traitements bureaucratiques et des salaires ouvriers était de I à 2 ou de I à 3, c'està-dire « normal ». La situation changea de fond en comble pendant les plans quinquennaux. Les salaires firent une chute vertigineuse, tandis que la différenciation des revenus était poussée à l'extrême. A partir des années 30, les statistiques des salaires réels et du pouvoir d'achat cessent d'être rendues publiques ; seuls sont connus les indices du « salaire moyen », celui qu'on obtient en additionnant les salaires du directeur et de la balayeuse. En revanche, on apprenait, par exemple, par une ordonnance du 1er novembre 1937, que le salaire ne devait pas être inférieur à II 5 roubles par mois pour les travailleurs permanents et à 110 roubles pour les travailleurs à la journée, tandis que· les traitements de l'élite privilégiée variaient entre 2.000 et 3.000 roubles par mois, soit 20 à 30 fois plus que les salaires des ouvriers les plus mal payés. S'il est vrai, ainsi que le pense Engels, qu' « avec les différences dans la répartition apparaissent les différences des classes »14 , quelques années de campagne forcenée contre l'ouravnilovka (« déviation égalitariste») suffirent largement pour mettre au jour la structure de classe du régime, qui, après avoir promis d'abolir la bureaucratie, avait réussi à décupler ses effectifs en moins de vingt ans. Mais, selon le marxisme, l'inégalité dans la répartition « reflète » la structure antagonique des « rapports de production >>dont elle dérive : les mesures « simples et allant de soi >>dont parle Lénine n'auraient de sens que dans la mesure où elles se conjugueraient avec la démocratie à l'usine. Autogouvernement des producteurs SI LA DÉMOCRATIE politique est ((formelle », c'est qu'elle laisse intacte la structure despotique du commandement économique. Selon la profonde parole de Marx, lorsqu'il s'agit du régime des usines, la bourgeoisie << jette aux orties la division des pouvoirs et le système représentatif dont elle 14. Engels: Anti-Dühring, Moscou 1946 (en all.), p. 180. Biblioteca Gino Bianco 269 raffole 15 • L'essentiel du socialisme apparaît dans l'abolition du « pouvoir autocratique>> qui régit les usines et le remplacement du « despotisme du capital >>par l'activité consciente des individus <c librement associés ». Comme dit Lénine : La dictature du prolétariat n'est pas uniquement la violence exercée sur les exploiteurs ; et même son essence n'est pas la violence. Le fondement économique de la violence révolutionnaire, le gage de sa vitalité et de son succès, c'est que le prolétariat offre et réalise, comparativement au capitalisme, un type supérieur de l'organisation sociale du travail (p. 587) C'est pourquoi il fallait ... ...détruire à tout prix le vieux préjugé absurbe, sauvage, infâme et abominable, selon lequel seules les classes supérieures, seuls les riches ou ceux qui ont passé par l'école des classes riches peuvent administrer l'Etat, organiser la construction de la société socialiste (p. 303). La cc vénération superstitieuse de la bureaucratie », dont faisaient preuve les cc falsificateurs du marxisme », était la résurgence la plus perfide de ce préjugé « infâme et abominable ». Ils ne croyaient pas aux capacités créatrices du prolétariat, ils le tenaient pour incapable de gérer intégralement la production. Selon ces « traîtres au prolétariat », la complexité des techniques modernes rend impossible une gestion ouvrière intégrale et nécessite le maintien d'un appareil bureaucratique spécialisé. « Il y a des entreprises », écrivait Kautsky en 1902 ••• ... qui ne peuvent pas se passer d'une organisation bureaucratique, tels les chemins de fer. Ici l'organisation démocratique peut revêtir l'aspect suivant : les ouvriers éliraient des députés, qui formeraient une sorte de Parlement ayant pour mission d'établir le régime du travail et de surveiller le fonctionnement de l'appareil bureaucratique. Ce programme minimal de c< contrôle ouvrier » provoque de nouveau les foudres de Lénine : Le grand point, ici, c'est que cette « sorte de Parlement » ne sera pas un Parlement dans le sens des institutions parlementaires bourgeoises. Le grand point ici, c'est que cette « sorte de Parlement » ne se contentera pas d' « établir le régime du travail et de surveiller le fonctionnement de l'appareil bureaucratique >>, comme se l'imagine Kautsky, dont la pensée ne dépasse pas le cadre du parlementarisme bourgeois. Il est certain qu'en société socialiste une « sorte de Parlement » composé de députés ouvriers cc déterminera le régime du travail et surveillera le fonctionnement » de l'« appareil », mais cet appareil-là ne sera pas « bureaucratique ». Pour empêcher ces députés ouvriers de devenir des bureaucrates, on prendra aussitôt les mesures minutieusement étudiées par Marx et Engels : r. pas seulement éligibilité, mais révocabilité à tout moment ; 2. salaire qui ne sera pas supérieur à celui de l'ouvrier ; 3. adoption immédiate de mesures afin que tous remplissent les fonctions de contrôle et de surveillance 15. Marx : Das Kapital, ~d. Dietz, 1951, I, 446 (Paris 1948, II, 106).
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==