Le Contrat Social - anno V - n. 5 - set.-ott. 1961

268 Quelques mois plus tard, Lénine commença à éprouver combien il était difficile de dépasser dans ce sens « dialectique » la « démocratie tronquée » du parlementarisme. Dans les Tâches immédiates du pouvoir des soviets (28 avril 1918), il fustige l'existence d'une ... ... tendance petite-bourgeoise qui cherche à transformer les membres des soviets en « parlementaires » ou, d'un autre côté, en bureaucrates. Il faut combattre cette tendance en faisant participer pratiquement tous les membres des soviets à la gestion du pays. Notre but est de faire participer pratiquement tous les pauvres sans exception au gouvernement du pays. Notre but est de faire remplir gratuitement les fonctions d'Etat par tous les travailleurs, une fois qu'ils ont terminé leurs huit heures de travail dans la production (XXVII, 283). Il est superflu d'ajouter que la «tendance petite-bourgeoise » a été infiniment plus puissante que les phrases démagogiques et vides sur l'autosuppression dialectique de la bureaucratie. Dès la fin de la guerre civile, les soviets avaient perdu toute représentativité et étaient réduits au rôle de simples « courroies de transmission » des directives du Parti. Les affaires les plus insignifiantes elles-mêmes ne pouvaient être traitées sans intervention directe du tout-puissant Politburo : l'affaire ubuesque des conserves, dont traite longuement Lénine au x1e congrès, en mars 1922 (pp. 966-69), est une illustration cocasse de la centralisation excessive qui a marqué la bureaucratie soviétique dès ses premiers pas. Dès 1920, Lénine écrivait : Dans notre République, il n'est pas une question importante, politique ou d'organisation, qui soit tranchée par une institution de l'Etat sans que le Comité central du Parti ait donné ses directives (...) Les 19 membres du Comité central dirigent le Parti ; le travail courant est confié à des collèges encore plus restreints appelés Bureau d'organisation et Bureau politique qui sont élus en assemblée plénière du Comité central, à raison de 5 membres pour chaque bureau. Il en résulte donc la plus authentique « oligarchie »••• (p. 716). Des neuf personnes qui, aux côtés de Lénine, formaient cette « authentique oligarchie », huit ont été exécutées comme traîtres, renégats et « monstres » par le neuvième, lequel fut à son tour dénoncé par ses héritiers comme un tyran débile et sanguinaire. Car, à en croire l'historiographie officielle, la règle constitutionnelle non écrite de ce régime qui n'étouffe pas la « vie indépendante desmasses»,mais au contraire permet la plus forte participation électorale du monde (99,9 % pour les hommes, 99, 7 % pour les femmes), exige que le peuple porte unanimement au pouvoir, ou bien des agents de l'étranger, depuis Trotski et l'état-major d'Octobre jusqu'à Béria, ou bien des « monstres sanguinaires », depuis Staline jusqu'à ces « véritables sadiques» : Malenkov, Kaganovitch et consorts. Mais les « falsificateurs du marxisme» n'avaient pas seulement «oublié» le principe de l'éligiBi·blioteca Gino Bianco ., LE CONTRAT SOCIAL bilité e:t de la révocabilité complètes des fonctionnaires : la « diffusion monstrueuse des déformations du marxisme» avait aussi obscurci un autre point capital du programme, celui qui concerne le deuxième «moyen infaillible » employé par la Commune pour domestiquer l'Etat et le transformer « de maître en serviteur de la société » 12 : l'égalisation des traitements bureaucratiques et des salaires ouvriers. L'égalitarisme CETTENOUVELL«Efalsification» redouble les foudres de Lénine : Suppression de tous frais de représentation, de tous privilèges pécuniaires attachés aux fonctionnaires, réduction des traitements de tous les fonctionnaires au niveau du salaire ouvrier : c'est là justement qu'apparaît avec le plus de relief le tournant qui s'opère de la démocratie bourgeoise à la démocratie ouvrière ... Et c'est sur ce point particulièrement évident - et en ce qui concerne la question de l'Etat, peut être le plus important entre tous - que les enseignements de Marx sont les plus oubliés 1 Les commentaires de vulgarisation - ils sont innombrables - n'en soufflent mot. Il est admis de taire cela comme une « chose puérile » qui a fait son temps, exactement comme les chrétiens ont oublié les « puérilités » du christianisme primitif ... (pp. 195-96). Que dirait Lénine aujourd'hui ? Ce point «particulièrement évident » et « peut-être le plus important » de la doctrine marxiste de l'Etat n'a assurément pas été oublié par les ouvriers : la renaissance, à l'époque post-stalinienne, des aspirations égalitaires si longtemps étouffées de la classe ouvrière, peut en témoigner. Quant aux ·dirigeants, c'est-à-dire ceux qui sont censés représenter la classe ouvrière qu'ils ont euxmêmes privée de toute possibilité d'information, de çritique et d'action indépendante, ils ne semblent pas, eux non plus, avoir méconnu ou sousestimé l'importance de cet égalitarisme où se manifeste le «tournant » vers la «démocratie ouvrière» : à preuve, l'acharnement qu'ils ont mis pendant un quart de siècle (depuis 1931) · à dénoncer l'« égalitarisme petit-bourgeois» et le « crétinisme niveleur». Comme l'écrivait Staline en 1934, « c'est dire des platitudes et calomni~r le marxisme » que de lui prêter des intentions ' li • 13 ega tatres ... Au premier rang de ces calomniateurs du marxisme figure Lénine en personne. Il cite Engels : La Commune ne rétribua les fonctionnaires, supérieurs comme subalternes, que par un salaire égal à celui que recevaient les autres ouvriers. Le plus haut traitement qu'elle attribuât était de 6.000 francs. Et il commente en ces termes : 12. Marx-Engels : La Guerre civile en France, p. 15. 13. Staline : Les Questions du léninisme, 1947, II, 178. r

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