270 Cà quoi se ramènent, selon Lénine, les fonctions administratives], que tous deviennent pour un temps « bureaucrates », et que de ce fait personne ne puisse être bureaucrate (p. 253). On comprend dès lors quel était le péché mortel de Kautsky : il ne comprenait «absolument pas »... ... la différence entre le parlementarisme bourgeois - qui unit la démocratie à la bureaucratie - et le démocratisme prolétarien qui prendra immédiatement des mesures afin de couper à la racine le bureaucratisme et qui sera à même de les faire aboutir à la destruction complète du bureaucratisme, à l'établissement complet d'une démocratie pour le peuple (253-54). Quelques mois d'exercice du pouvoir ont suffi pour balayer ces phrases creuses et remettre en vigueur les préjugés «infâmes et abominables» d'autrefois. Voici le nouveau langage que tenait Lénine aux ouvriers qui voulaient gérer eux-mêmes leur usine: Vous désirez que votre fabrique soit confisquée ? Très bien, les textes des décrets sont prêts, nous pouvons les signer à l'instant même. Mais dites-moi : avez-vous su prendre la production en main, avez-vous calculé ce que vous produisez, connaissez-vous la liaison entre votre production et le marché russe et international ? (XXVII, 308). Pas plus que les ouvriers parisiens de 1871, les ouvriers russes de 1918 ne savaient calculer le rapport de leur production avec le «marché international » (complètement inexistant à l'époque). D'ailleurs, l'incompétence de l' «avant-garde consciente » n'était pas moindre. Comme disait Lénine cinq ans plus tard : «ce qui manque, c'est la culture et l'instruction chez les éléments communistes dirigeants» (p. 962). Mais ce n'était plus la Commune de Paris qui devait servir d'exemple. Ce dont il s'agissait désormais, c'était. .. ... de se mettre à l'école du capitalisme d'Etat allemand, de tendre tous les efforts pour se l'assimiler, de prodiguer les méthodes dictatoriales pour accélérer cette assimilation de la civilisation occidentale par la Russie barbare, de ne pas reculer devant les moyens barbares pour combattre la barbarie (p. 856). Le «capitalisme d'Etat allemand», c'est-à-dire le système artificiel de direction centralisée de l'économie de guerre, qui devait disparaître dès la fin des hostilités, désignait désormais la quintessence de la « civilisation occidentale ». Plus encore : tout en étant la forme la plus lourde de la «monstrueuse oppression des masses laborieuses par l'Etat », ce capitalisme d'Etat devait être assimilé à l' «antichambre du socialisme » (p. 857) .•. C'est au nom de cette fantasmagorie que la direction collective des usines fut abolie : il fallait désormais que..• ... les masses obéissent sans réserve à la volonté unique des dirigeants du processus du travail (p. 399) ; Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL [et cela, parce que] la grande industrie mécanique exige une unité de volonté rigoureuse, absolue, réglant le travail commun de centaines, de milliers et de dizaines de milliers de personnes (p. 398). Il fallait imposer aux entreprises un « pouvoir fort et impitoyable », un régime de « dictature personnelle» (p. 404) assurant la « soumission de la volonté des milliers à celle d'un seul», et cette dernière, ajoute Lénine, surenchérissant sur les remarques du « renégat » Kautsky, était « doublement et triplement indispensable dans les chemins de fer» (p. 399) ... Lénine découvre· maintenant que même le contrôle ouvrier, auquel se limitait le parlementarisme «borné » de Kautsky, était, lui aussi, extrêmement difficile à réaliser : il impliquait une telle «rupture avec les habitudes du passé » que « c'est à peine s'il commence à pénétrer dans la vie, voire dans la conscience des grandes masses du prolétariat » (p. 384). Or ... ... aussi longtemps que le contrôle ouvrier ne sera pas devenu un fait acquis (...), il ne sera pas possible d'effectuer le second pas dans la voie du socialisme, c'est-à-dire de passer à la réglementation de la production par les ouvriers (p. 384-85). Le contrôle ouvrier s'étant éteint déjà du vivant de Lénine, le régime n'a fait ni le premier ni, a fortiori, le second pas dans la voie du socialisme. Il ne s'agissait plus de mettre à exécution les mesures « minutieusement étudiées par Marx et Engels », pas même d'appliquer à l'intérieur des usines le «parlementarisme» humain, trop humain, de Kautsky. Il s'agissait de... ... conjuguer l'esprit démocratique des masses, tel qu'il se manifeste dans les meetings (sic), impétueux, débordant, tel une crue printanière - avec une discipline de fer pendant le travail, avec la soumission absolue pendant le travail à la volonté unique du dirigeant soviétique (p. 401). Les meetings et les fêtes champêtres, avec le mouchard de service, devenaient désormais les seuls indices de « démocratisme ». En 1921, les derniers bolchéviks à se rappeler les promesses de Lénine, et plus précisément le § 5 de la partie économique du programme du Parti, proclamant que « les syndicats doivent aboutir à concentrer pratiquement entre leurs mains toute la direction de l'ensemble de l'économie nationale (•..) en faisant participer les masses à la gestion directe de l' économie», étaient les membres de l'Opposition ouvrière, fraction que Trotski jugeait « la plus dangereuse » 16 et que Lénine tenait pour un « danger politique direct pour l'existence même de la dict~ture du prolétariat» (p. 831). La gestion ouvrière fut répudiée par le xe congrès du Parti comme une « déviation anarchiste petitebourgeoise » dont le péché mortel était de « passer 16 Trotski : u Cours nouveau», in Les Bolchéviks contre Staline, Paris 1957, p. 24.
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