266 lettre poignante au sujet de la publication de ses notes et de ses brouillons sur la question de l'Etat 6 • Son propos était apparemment modeste : il s'agissait de «reconstituer la véritable doctrine marxiste de l'Etat» (p. 163), falsifiéeet déformée par les social-démocrates et autres «traîtres au prolétariat ». L'extrême. violence polémique qui. traverse ses commentatres n'avait d'autre but que de renforcer l'autorité d'une longue série de citations minutieusement choisies dans les écrits de Marx et d'Engels. «Sans doute », ajoutait Lénine... ...ces longues citations alourdiront l'exposé (...) Mais il est absolument impossible de s'en passer. Tous les passages décisifs des œuvres de Marx et d'Engels doivent être reproduits afin que le lecteur puisse luimême se faire une idée sur l'ensemble des conceptions des fondateurs du socialisme scientifique, et aussi pour que leur déformation par le « kautskisme » officiel soit démontrée à l'aide des documents, et mise en évidence (p. 164). Aujourd'hui, il est encore plus difficile de se passer des citations que du temps de Lénine. Loin d'avoir «dépéri», l'Etat révolutionnaire a enlevé, comme dirait Marx, «à l'initiative des membres de la société et transformé en objet de l'activité gouvernementale» non seulement ces parcelles d' «intérêt commun » que représentaient, du temps de Marx et de Louis-Napoléon Bonaparte, « le pont, la maison d'école et la propriété communale du plus petit hameau, les chemins de fer, les biens nationaux et les universités » 7 , mais encore la totalité de la vie sociale et la vie privée de surcroît. Pour Marx, l'étatisme du Second Empire était quelque chose comme la Bête de l'Apocalypse : que dirait-il des « régimes socialistes» de nos jours ? Car Napoléon III, que Victor Hugo traitait d' «hydre en colère », ferait figure de martyr libertaire comparé au «plus génial disciple de Marx », celui que la révolution léniniste a mis au pouvoir sur le sixième de la terre pendant un quart de siècle. Nous reproduirons donc aussi largement que possible tous les passages essentiels de l'œuvre de Lénine sur l'Etat : le lecteur pourra à la fois mesurer l'étendue des illusions de leur auteur et méditer sur le sort que la réalité leur réservait. L'armée et la police .L'ÉTATNOUVEAdUev~t être un Etat du type de la Commune de Parts ; un Etat qui, selon l'expression d'Engels, cesse d'être un Etat, 6. En voici le texte : « Camarade Kaménev, si je devais être tué, je vous prie de publier un cahier intitulé Le Marxisme et l'Etat (il est resté à Stockholm en sûreté). Il y a là, rassemblées, toutes les citations de Marx et d'Engels et aussi celles de Kautsky contre Pannekoek. En outre une série de remarques et de notices. Il ne reste plus qu'à rédiger. Je pense que ce travail pourrait être publié en une semaine. Je le tiens pour important, car il n'y a pas que Plékhanov et Kautsky qui aient déraillé ... » 7. Cf. Marx : Le 18 Brumaire, etc., 1945, p. 90. Biblioteca Gino Bianco -· LE CONTRAT SOCIAL « n'est plus un Etat au sens propre du terme». Or «le premier décret de la Commune fut la suppression de l'armée permanente, et la substitution à cette armée du peuple armé » 8 • « Cette revendication », commente Lénine ... ... figure maintenant au programme de tous les partis désireux de s'intituler socialistes. Mais ce que valent leurs proil'ammes, c'est ce qu'illustre au mieux la conduite de nos menchéviks et de nos social-révolutionnaires, qui justement ont refusé de donner suite à cette revendication (p. 184). Revendication en fait uniquement intelligible comme moyen de pousser à fond la désagrégation d'une armée qui comptait alors plus de 2 millions de déserteurs ; revendication qui a sombré dans l'oubli dès qu'il fut question de s'armer efficace-:- ment contre la contre-révolution. Au commencement, les bolchéviks voulurent « donner suite » à cette revendication: l'ordre du 29 décembre 1917 abolissant les grades et titres fut suivi du décret du 12 janvier 1918 proclamant la formation d'une armée de volontaires qui serait « édifiée par en bas sur le principe de l'élection des officiers». Mais la campagne de recrutement échoua et le système de l'élection des officiers s'avéra désastreux. Trotski mit fin à cette phase d'utopisme visionnaire en abolissant l'élection des officiers et en instituant le service obligatoire : à partir de l'été 1918, il n'y eut plus que les «hystériques» de l' «opposition militaire » pour rappeler à Lénine et à Trotski les promesses démagogiques d'abolition de l'armée permanente. Mais le succès des méthodes traditionnelles de commandement militaire était tel qu'à la fin de la illerre civile le gouvernement s'achemina vers une militarisation du travail. En 1920, des ouvriers de l'industrie furent recrutés en masse et enrégimentés dans des « armées du travail», comme des soldats. Trotski, à l'époque plus stalinien que Staline, en avait été l'instigateur : le régime qui avait promis d'abolir l'armée de métier était en train de militariser la société elle-même... Une autre mesure « simple et allant de soi» était l'abolition de la police. Là encore, la Commune de Paris devait servir d'exemple. Car, « au lieu de continuer d'être l'agent du gouvernement central, la police fut immédiatement dépouillée de ses attributs politiques et transformée en un agent de la Commune, responsable et à tout moment révocable » 9 • Ce point du programme socialiste était particulièrement important aux yeux de Lénine. Parlant des Tâches du prolétariat dans notre révolution, et après avoir vitupéré la république parlementaire qui « étouffe !a vi~ politique autonome des masses » (p. 28), t1 exige (P•_. 29) . « le ~emplacelD:entde la police par une milice populatre ».et adJure ses partisans 8. Marx-Engels : La Guerre civile en France, 1936, p. 57. 9. Ibid., pp. 57-58.
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