Le Contrat Social - anno V - n. 5 - set.-ott. 1961

K. PAPAJOANNOU républiques bourgeoises » (p. 443), c'est qu'il croyait ou feignait de croire que les soviets.allaient exterminer « le monstre le plus froid» et mettre fin pour toujours à l'oppression du citoyen par l'Etat, aussi bien qu'à l'exploitation du producteur par le capital. Démocratie contre bureaucratie « LA RÉPUBLIQUEparlementaire bourgeoise, répète inlassablement Lénine, entrave, étouffe la vie politique autonome des masses, leur participation directe à l'organisation démocratique de toute la vie de l'Etat, de bas en haut » (p. 28). La démocratie parlementaire constitue, certes, « un grand progrès par rapport au Moyen Age » ; elle n'en est pas moins « une démocratie étroite, tronquée, fausse, hypocrite» (p. 438). En théorie, le pouvoir y appartient à la représentation populaire, au Parlement, que Marx considérait comme l'expression del' « autonomie de la nation». Mais en réalité la liberté du citoyen est réduite à une simple apparence par l'appareil administratif de l'Etat moderne : « l'armée permanente, la police, la bureaucratie pratiquement non révocable, privilégiée, placée au-dessus du peuple» (p. 27). Comme le disait Marx, le pouvoir exécutif est l' « hétéronomie de la nation », une dépossession de la société aussi profonde que l'aliénation capitaliste 3 • Lénine écrit (p. 199) : Considérez n'importe quel pays parlementaire, depuis l'Amérique jusqu'à la Suisse, depuis la France jusqu'à l'Angleterre, la Norvège, etc. : la véritable besogne « d'Etat » se fait dans la coulisse et est exécutée par les services administratifs, les chancelleries, les états-majors. Dans les Parlements, on ne fait que bavarder, à seule fin de duper le peuple. La démocratie suisse était l'ombre d'un rêve par rapport à l'avenir que promettaient les soviets. Partout ailleurs la bureaucratie posait des obstacles insurmontables au développement normal de la démocratie : L'Angleterre et l'Amérique elles-mêmes, les plus grands et les derniers représentants - dans le monde entier - de la « liberté » anglo-saxonne (absence de militarisme et de bureaucratisme), ont glissé entièrement dans le marais fangeux et sanglant des institutions militaires et bureaucratiques communes à l'Europe entière, institutions qui se subordonnent tout, qui écrasent tout de leur poids (p. 191). Si le Civil Service offensait la sensibilité démocratique de Lénine, c'est que le dépérissement de l'Etat annoncé par Marx et Engels avait cessé d'être pour lui un idéal lointain, un objectif relégué dans un avenir brumeux; c'était un problème concret, actuel, celui que posait « la monstrueuse oppression des masses laborieuses par l'Etat» (p. 161) et que la classe ouvrière devait résoudre dans l'immédiat. 3. Cf. notre étude u Marx et l'Etat moderne 11, in Contrat social, juillet 196o. Biblioteca Gino Bianco 265 Lénine défenseur du vrai marxisme LE MOMENT était venu de mettre en pratique les «enseignements» que Marx tira de la Commune de Paris et que ses disciples, devenus réformistes et opportunistes, avaient oubliés, enterrés, bafoués, falsifiés 4 • Aveuglés par « le culte superstitieux de la bureaucratie» (p. 254), ceux-ci avaient fini par abandonner l'une après l'autre les propositions fondamentales de la doctrine. La critique du formalisme de la démocratie politique, la dénonciation de l'Etat bureaucratique, l'exigence d'une gestion intégrale de l'économie et de l'Etat par la collectivité, toutes ces idées directrices du marxisme restaient pour eux lettre morte. Ces traîtres au prolétariat ont entièrement laissé aux anarchistes le soin de critiquer le parlementarisme ; et, pour cette raison étonnanunent judicieuse, ils qualifient d'anarchiste toute critique du parlementarisme (p. 197). Incapables de concevoir une autre critique du parlementarisme que la critique anarchiste, [ils ne comprennent pas que] le moyen de sortir du parlementarisme ne consiste pas à détruire les institutions représentatives et le principe électif, mais à transformer ces institutions représentatives, de parlotes, en assemblées agissantes (p. 198). Dans la conception marxiste de la dictature du prolétariat en tant que démocratie intégrale ils ne voyaient qu'un rêve irréalisable. Un pouvoir révolutionnaire du type de la Commune de Paris n'était pour eux qu'une utopie vouée à l'échec ; aussi les thèses du programme marxiste concernant la suppression de la police et de l'armée, l'abolition de la bureaucratie, la suppression des privilèges pécuniaires attachés aux fonctions de direction, la gestion ouvrière de la production, leur apparaissaient-elles comme des revendications « puériles » (p. 196) relevant d'un «démocratisme naïf, primitif», qui a fait son temps et qu'il convient désormais d'oublier ... •.• exactement comme les chrétiens qui, une fois leur culte devenu religion d'Etat, « ont oublié » les « puérilités » du christianisme primitif avec son esprit démocratique révolutionnaire 5 • C'est pour défendre la vraie doctrine de Marx contre « la diffusion inouïe des déformations du marxisme » (p. 163) que Lénine écrivit en aoûtseptembre 1917, alors qu'il était traqué par la police comme agent de l'ennemi, l'ouvrage fondamental qu'il tenait en quelque sorte pour son testament spirituel : L'Etat et la Révolution. Il attachait à ce travail une importance si grande qu'il écrivit à Kaménev (fusillé par Staline) une 4. Ces termes - et les anathèmes de rigueur - r~\"Î nnent sans cesse comme un leitmotiv obs dant d.1ns tous les écrits de Lénine de cette p6riodc. Cf. pp. 163, 190, 196, 198, 206, 251, 257, 258, 261, 263, etc. 5. On sait que Troeltch a foit jusucc de la mythol gie marxiste (ou plutôt kautskistc) de l'« esprit r volutionnaire et démocratique » du christianisme primitif. ,

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