Le Contrat Social - anno V - n. 5 - set.-ott. 1961

260 · monde, est-il précisé, a pour base idéologique le marxisme-léninisme en tant que système achevé et harmonieux d'opinions philosophiques, économiques, sociales et politiques. » Il est curieux de constater ici l'absence, parmi les éléments constitutifs du marxisme-léninisme, d'opinions scientifiques. Il ne s'agit nullement d'une inadvertance, car un peu plus loin les passages consacrés à la physique, la chimie et la biologie ne font nulle mention du marxisme. En compensation, un alinéa de conclusion pose qu' « il est nécessaire qu'on s'arrête toujours plus à l'étude des problèmes de la philosophie des sciences contemporaines de la nature, à la lumière du matérialisme dialectique, qui seul représente une conception du monde et une méthode de connaissance scientifiques » 6 • C'est là l'indice d'une évolution importante, que laissait pressentir le limogeage de Lyssenko il y a quelques années. Lyssenko a il est vrai, pour la consolation des théologiens, récemment recouvré la présidence de son Académie, mais il semble que son aventure bouffonne de 1948 ait moins de chances ·de se reproduire. On peut croire ·que les physiciens soviétiques se sont refusés à habiller d'oripeaux marxistes les comptes rendus de leurs recherches. De sorte que les sciences physiques seraient abandonnées aux savants sous condition qu'ils ne tenteront pas de systématiser en termes philosophiques les résultats de leurs recherches. La philosophie des sciences est réservée aux théologiens officiels, chargés de donner après coup le baptême dialec.:. tique à ce qu'auront énoncé les physiciens. Il y a là un recul évident par rapport à une tradition dont la pierre angulaire était le pesant et .célèbre Matérialisme et empiriocriticisme de Lénine, confirmé par la publication posthume de la Dialectique de la nature d'Engels. Ce recul entraînera-t-il dans l'avenir des difficultés, voire des conflits ? C'est ce qu'il n'est guère possible de conjecturer. De Galilée à Lyssenko, les Eglises ont une solide tradition qui peut trouver des prolongements. Dans le présent les savants semblent considérés comme des techniciens de haute volée, qui pourront travailler tranquilles s'ils ne prétendent pas en remontrer à leur curé. Les sciences sociales, en revanche, ont une mission définie de façon impérative : elles « doivent continuer à combattre résolument l'idéologie bourgeoise, la théorie et la pratique des socialistes de droite, le révisionnisme et le dogmatisme, en sauvegardant la pureté des principes du marxisme-léninisme» (p. 115). 'i On voit que si les sciences de la nature demeurent un instrument de connaissance, les sciences sociales sont, elles, exclusivement vouées au combat. Aussi n'est-on nullement surpris de 6. La traduction éditée par « Etudes soviétiques » porte « connaissances » au pluriel (p. 115). Il s'agit visiblement · d'une correction typof raphique erronée, provoquée par la proximité d'un adject:f au pluriel. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL lire qu~ l'histoire « doit révéler les lois présidant au mouvement de l'humanité vers le communisme». Nous sommes ici sur un terrain où les conclusions précèdent la recherche, où la connaissance apocalyptique se substitµe à la connaissance scientifique. Les faits, obligatoirement, seront interprétés de façon à justifier les Prophéties. Ces nouveaux chrétiens ne sont pas tout à fait assurés de ce qu'apportera demain ou aprèsdemain. Mais ils savent que deinain et aprèsdemain ne sont que des étapes sur la voie qui mène immanquablement au Royaume de la promesse, ·au Royaume de la liberté. E T en attendant, comme a dit Engels et répété Lénine, aucune liberté n'est concevable. ,, A la vérité, les programmes successifs ne s'en tiennent pas à cette affirmation sommaire. Lorsqu'on a fait de la liberté une des causes finales de !'Histoire et qu'on a des adversaires qui s'en disent les défenseurs, il est malaisé de poser en principe qu'une totale servitude actuelle est l'unique voie menant à une liberté authentique mais future. Aussi les auteurs du programme de 1919, tout en refusant explicitement de formuler une «Déclaration des droits et libertés » ont-ils soutenu (dans un passage cité ci-dessus) que la liberté véritable avait commencé de régner et ne cesserait de s'étendre. Quant au projet actuel, il énonce (p. 18) les libertés de parole, de la presse, de réunion (mais non la liberté d'association), puis affirme tout uniment : « La société soviétique assure une liberté authentique à l'individu. » On lit ensuite que « la libération de l'homme de toute exploitation est l'expression suprême de cette liberté ». Il est à coup sûr fâcheux que la manifestation suprême de la liberté, au pays du socialisme, soit un homme libéré, et non pas un homme libre. Cela conduit à se demander ce qu'est cet homme libéré et si, libéré d'un système, il ne va pas se trouver enfermé dans un autre système. En d'autres termes, qui dit «libre» affirm~ la liberté, tandis que « libéré » marque seulement la négation d'une servitude. Un homme libre est ce qu'il lui plaît d'être, un homme libéré est avant tout un homme, et il est à craindre que ceux qui l'ont« libéré» n'aient une conception un peu trop précise de ce que doit être un homme. C'est d'ailleurs une inquiétude qu'on éprouve dès !'Introduction de ce projet, lorsqu'on lit que le mot d'ordre du Parti est : « Tout pour l'homme, tout pour le bien de l'homme. » Mot d'ordre qui implique que le Parti, non seulement sait ce qu'est l'homme, mais sait aussi ce qu'est ·son bien. L'homme est donc vis...:à-visdu Parti comme un enfant au catéchisme, comme un boy-scout dans son équipe. Et c'est bien là en effet l'image de l'homme qui ressort de la lecture de ce projet de Programme. Comme au catéchisme, l'homme va apprendre ce qu'on

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