256 l'industrie lourde et la technologie de base. De fait, en comparaison avec le plan actuel de politique économique pendant l'édification totale du communisme, le discours de Malenkov du 8 août 1953, qui préconisait un effort sérieux et systématique pour élever le niveau de vie en développant l'industrie légère et la production de biens de consommation, fait figure de document révolutionnaire. Aujourd'hui, il n'est pas question de « cours nouveau ». Non seulement en politique économique, mais dans bien d'autres domaines, un conservatisme foncier est la marque du programme. Le chapitre sur l'agriculture annonce l'intention du Parti de maintenir la structure institutionnelle des kolkhozes et sovkhozes, tout en réduisant progressivement les différences entre eux et en préparant l'abandon volontaire (sic) par les kolkhoziens de leurs lopins privés. La tendance conservatrice est également visible dans la déclaration suivant laquelle les rapports marchandise-monnaie doivent être maintenus et les prix permettre « un certain profit pour chaque entreprise qui fonctionne normalement » (par contraste avec le .programme de 1919 qui préconisait le remplacement systématique du commerce par la distribution des biens par l'Etat et des mesures préparatoires menant à la « suppression de la ~ormaie»). De même, la déclaration sur la future politique des nationalités ne révèle pas de changements importants, et le chapitre sur les lettres et les arts confirme que les principes du « réalisme socialiste» restent de rigueur. Le caractère conservateur du programme est reflété aussi par ce qui est dit - et ce qui n'est pas dit - dans le chapitre concernant les rapports entre les divers pays qui instaurent le socialisme ou le communisme. Bien qu'il soit question de créer un jour une « économie communiste mondiale», comme prévu par Lénine, il n'y a pas trace de suggestion qu'une fusion politique de ces pays doive avoir lieu ou même commencer dans un avenir prévisible. L- ES CHAPITRES qui traitent du développeinent de l'Etat soviétique et du Parti pendant la prochaine période ont été rédigés de façon à suggérer que des changements sensationnels se préparent ou sont déjà en cours ; mais en .fait ils ne contiennent pas grand-chose qui contredise l'interprétation du programme comrile étant d'une nature foncièrement conservatrice. Par exemple, la «dictature du prolétariat » a renipli sa mission historique et s'est transformée en « Etat du peuple tout entier », mais l'Etat ne doit pas dépérir en attendant la «victoire complète du communisme» dans un· avenir indéfini. C'est une mise au point du système idéologique qui n'entraîne pas de modification pour le système politique. La nouvelle formule («Etat du peuple tout entier») contredit évidemment la notion marxiste de l'Etat comme mécanisme purement BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL répressif qui est toujours l'agent d'une classe et qui disparaîtra dès qu'il aura été mis fin à la division des classes et à leur antagonisme après la révolution communiste mondiale. Mais cette contradiction est depuis longtemps implicite dans la doctrine soviétique du type soviétique d'Etat, institution qui combine les fonctions répressives de classe avec des fonctions non répressives, telles l'administration économique et l'édification culturelle. La nouvelle formule ne fait que rendre explicite et officielle l'entorse à la théorie marxiste faite de longue date par la doctrine politique soviétique. Les différentes dispositions relatives aux soviets, aux organisations dites sociales et au Parti sont ~'un intérêt et d'une importance plus grands. Elles méritent de la part des spécialistes des institutions politiques soviétiques une analyse approfondie, surtout quand on pourra juger de leur application. Dans l'ensemble, elles ne révèlent cependant pas l'intention d'introduire de sérieux changements dans le système politique. Les dispositions les plus notables sont celles qui posent le principe du renouvellement régulier des membres des organismes publics, parmi lesquels les comités du Parti de bas en haut de l'échelle, et le principe concomitant de la limitation (avec naturellement les exceptions qui s'imposent) du nombré de réélections successives ; ce sera peut-être là une évolution saine, si l'on s'y tient fermement pendant assez longtemps. Mais un mouvement à l'intérieur de l'élite ne modifiera ~n rien· le caractère de l'oligarchie soviétique qui se perpétue elle-même. D'autre part, on ne voit pas du tout en quoi cela pourrait - comme l'affirme le programme - renforcer la direction collective et exclure la possibilité d'une « concentration excessive du pouvoir ~ntre les mains de certains fonctionnaires ». Quant à la disposition suivant laquelle la révocation d'un membre du Comité central éxigera le vote ·des deux tiers au scrutin secret, la seule nouveauté est la règle du secret, et rien n'indique dans quelle mesure cette règle sera effective dans la pratique. Si une dictature per- . sonnelle à la Staline est évitée, ce ne sera pas grâce àux garanties données par les nouveaux programme et statuts du Parti. . En dépit de l'impression de radicalisme laissée par_ sa phraséologie révolutionnaire, le nouveau Manifeste communiste est, dans le fond, un credo du çonservatisme soviétique. Il est l'expression politique d'une classe dirigeante et possédante qui veut imposer l'image d'une Russie soviétique en marche - vers le communisme intégral. :- mais qui.1en réalité, est avant tout soucieµse de préserver, sans changements radicaux, la structùre institutionnelle existante et le système de pouvoir, de politique et de privilèges qui l'accompagne. ROBERT C. TUCKER. {Traduit de l'anglais)
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