Le Contrat Social - anno V - n. 5 - set.-ott. 1961

R. C. TUCKER L'ambivalence caractéristique de la doctrine khrouchtchévienne en matière de politique étrangère est très sensible. Parall~lement à l'e~ortation à mettre un terme a la guerre froide, l'esprit de la guerre froide anime le langage violent de maints passages (par exemple : « Le camp impérialiste prépare le plus horrible crime contre l'humanité, une guerre thermonucléaire mondiale ... ») Si la coexistence pacifique est une nécessité objective, elle est dépeinte sous forme de relations hostiles, voire comme une « forme particulière de la lutte des classes ». De même, les guerres peuvent et doivent être prévenues, mais les « guerres de libération contre l'impérialisme » sont souhaitables. Des révolutions socialistes peuvent se faire sans guerre civile ni violence armée, peut-être même par une transaction monétaire, mais il faut aussi garder présente à l'esprit la possibilité d'une « transition non pacifique au socialisme ». Le nationalisme mérite tout le soutien des communistes quand il est anti-occidental de caractère (le terme employé est « anti-impérialiste»), mais dans _les « pays socialistes » il est une arme de la réaction internationale et doit être combattu avec toute la fermeté voulue. L'anticommunisme est une idéologie abominable au service de la guerre idéologique, mais l' anticapitalisme est nécessan:e et parfaitement digne d'éloges.,« L_ePai:rl con~- nuera à dénoncer la nature reactionnaire antipopulaire du capi~alisme et to~tes les t~nt~tives faites pour enJoliver le systeme capitaliste. » A l'instar du petit bourgeois décrit par M~rx dans une de ses lettres comme une « contradiction vivante », de nos jours le communiste khrouchtchévien d'obédience est un personnage qui fait tout à la fois le procureur et l'avocat. A LA DIFFÉRENCE des programmes de 1903 et 1919 préoccupés des buts immédiats plutôt que lointains du mouvement, le nouveau programme se propose carrément de réalis~r le communisme intégral en U.R.S.S. La deUX1ème partie, intitulée « Les tâches du P.C. de l'Union soviétique dans l'édification de la société communiste », commence par déclarer que la construction de pareille société est désormais la « tâche pratique immédiate » du peuple soviétique, et affirme solennellement pour finir : « La présente génération soviétique vivra sous le communisme. » Ledit communisme est décrit comme une société sans classes, « hautement organisée », fondée sur la propriété publique et composée de gens socialement égaux qui travaillent volontairement selon leurs capacités et reçoivent selon leur besoins. Remarquons a? passage qu'aucun<: all~ion n'est faite à un point que Marx considérait comme essentiel dans la définition du communisme final, à savoir l'abolition de la division du travail sous toutes ses formes. Tout en assurant solennellement que la génération soviétique actuelle parviendra à la Terre Biblioteca Gino Bianco 255 promise de la sociét~ communiste, le n<?uv~au programme n'en précise pas la date ; ce qw laisse supposer que ladite génération aura une vie plutôt longue. Car les années 1961-80 sont l'époque d'édification totale du communisme, à la fin de laquelle les fondations, non l'édifice lui-même, seront construites. Ainsi, d'ici à 1980, auront été créées les « conditions matérielles nécessaires pour achever, ~s la pério~e suivante,_ la _tra~sition au principe commumste de distribution selon les besoins» (souligné par nous). Le communisme lui-même, qu'il faut distinguer d'avec son édification, est encore hors de vue : c'est une utopie qui s'éloigne à mesure qu'on en approche. Le nouveau programme est dès lors un placard publicitaire, non pour la vie sous le communi~me intégral, mais plutôt pour les deux prochames décennies d' « édification totale ». Ce qu'il envisage pour cette période est essentiellement une énorme amélioration du niveau de vie; en fait, il s'agit de créer un véritable Etat-bien-être soviétique, avec l'accent sur la fourniture des biens et des services par le secteur public. A la fin, régnera l'abondance de produits alimentaires variés. Chaque famille («y compris les jeunes mariés ... ») aura reçu d'ici là un appartement, gratuit qui plus est. Les kolkhoziens bénéficieront de congés payés ainsi que de pensions de vieillesse et d'allocations maladie et invalidité. Les médicaments seront gratuits. Des déjeuners gratuits seront servis dans les écoles et sur les lieux de travail. Les appareils électro-ménagers seront là à profusion pour alléger le travail des femmes à la maison, et ainsi de suite. En fait, le communisme de 1980, c'est le régime soviétique plus le niveau de vie aussi élevé, sinon plus, que celui des Etats-bienêtre occidentaux aujourd'hui les plus avancés. ON AURAIT PU croire qu'un plan d'amélioration radicale du niveau de vie nécessitât - à tout le moins - un changement de la politique économique de !'U.R.S.S., mettant beaucoup plus l'accent sur l'industrie légère et la production de biens de consommation. Or il en est peu d'indices dans le nouveau programme - en dépit de la déclaration de Khrouchtchev à l'inauguration de !'Exposition commerciale britannique à Moscou, selon laquelle désormais les industries lourdes et légères se développeraient au même rythme. Le programme, reprenant la formule en vogue à la fin de la période stalinienne, dit que la princ~pale tâche ,économique des ,~gt années à venir est de creer la « base materielle et technique» du communisme. Et de souligner la nécessité de « développer encore l'industrie lourde ». Pour illustrer ce point, il fixe la tâche colossale de porter d'ici à 1980 la production d'acier à 250 millions de tonnes par an. Il est question plus loin des << efforts )> qui seront faits pour accroître rapidement la production de biens de consommation, mais le thème qui domine est celui de la nécessité de continuer à développer

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