Le Contrat Social - anno V - n. 4 - lug.-ago. 1961

Débats et recherches DIALECTIQQE DU MAITRE ET DE L'ESCLAVE par Aimé Patri QUE LA THÉORIE marxienne de la lutte des classesprocède philosophiquement de l'exposé consacré par Hegel à la relation du maître au serviteur, voilà un des lieux communs de l'exégèse contemporaine. Les voûtes de Notre-Dame, à l'occasion des sermons de Carême, ont même retenti de l'écho de cette « incontestable » vérité 1 . Incontestable, la filiation prétendue a pour nous cessé de l'être. Nous avions commencé par y croire, comme bien d'autres. Mais nous nous étonnions de n'avoir pas trouvé sous la plume de Marx, dans ses écrits de jeunesse, de référence précise à l'endroit où, selon les plus récents sourciers, il aurait puisé sa principale inspiration. Il cite pourtant la Phénoménologiede l'Esprit de Hegel, mentionnant les thèmes de cet ouvrage pour lesquels il éprouve une dilection particulière, mais précisément pas celui que nous nous serions attendu à trouver 2 • Notre érudition « marxologique » étant sujette à défaillances, nous avons consulté M. Rubel qui, de son côté, nous a certifié ne pas connaître de texte fournissant la preuve de l'assertion courante. Ce n'était pas encore un argument décisif en faveur du contraire. Mais, réfléchissant sur cette question par nos propres moyens, nous sommes parvenu à la conviction que la doctrine exposée par Hegel dans un passage maintenant fameux, ne pouvait être repnse à son compte, même de façon atténuée, par Marx, étant franchement incompatible avec celle que les auteurs du Mani- /este communiste ont professée. Si la question 1. L'orateur était le R. P. Riquet, S. J. 2. Marx évoque directement les th~mes hégéliens de • la conscience malheureuse, la conscience honn!te, le combat de la conscience noble et de la conscience vile, etc. », non la dialectique du maitre et de l'esclave (Manuscrits de 1844). Biblioteca Gino Bianco ~'é~ai! que de pure éru~tion, nous n'aurions pas 1ns1ste autrement; mats il nous paraît qu'elle engage l'interprétation générale des doctrines, qu'elle pose même un problème réel. RAPPELONS, d:~bord à grands traits le célèbre text~ hegehen 3 • De!lx personn~ges qui ne . paraissent plus tout a fait des animaux, mais qui ne sont sans doute pas encore tout à fait des hommes, se rencontrent, fortuitement, semble-t-il. Aussitôt s'engage une lutte à mort: chacun d'eux est un moi et ne peut supporter qu'il y en ait un autre. _Cepend~t l'un, d'eux faiblit (moralement) et ob~ent la vie en echange de la liberté. Dès lors, _il semble que celui qui a préféré la liberté à la vie et s'est rendu maître accéde à la conscience humaine de soi, tandis que l'autre s'enfonce dans les ténèbres de l'animalité et même plus avant, puisqu'il est réduit à la condition de chose d'esclave ou de serviteur. Mais le maître n'accèd~ à la conscience de soi que par l'intermédiaire de l'esclave qui le reconnaît, mais que lui ne reconnaît pas en qualité d'être humain. Aussi la relation va-t-elle se renverser. Une tierce position est celle de la chose vraiment inanimée et sans doute objet de la commune ~?nvoitise. ~tiale. ,De la chos~, le maître, par 1 mtermédiaire de 1 esclave, obtient la jouissance sans en connaître la résistance. De son côté' l'esclav~ épr~uve la résistance, ~ais non la jouis~ sance ; 11revi~nt au même de dire qu'il travaille. Par ce travatl, l'esclave transforme la nature. 3. Phmom,nologi, d, /'&prit, IV.-A. Trad. Hyppolite, t. I, pp. 155-166, (titre abrégé : PhB).

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