P. BARTON eux-mêmes à quoi s'en tenir; après tout, ce ne sont que des juristes. Ces contradictions et faux-fuyants ne sont pas sans précédent. Le manuel compare la prétendue réorganisation des camps en colonies à la liquidation des « isolateurs d'affectation spéciale», créés en 1924 pour des prisonniers politiques particulièrement dangereux et qui, officiellement,cessèrent d'exister après la création en 1930 des camps de travail correctif (p. 45). Or, lorsque les sources soviétiques parlent de la liquidation de ces isolateurs, il faut entendre par là que leur importance diminua fortement, mais non pas qu'ils disparurent entièrement. J.-P. Serbet, par exemple, signale que la fameuse prison de Vladimir a une section spéciale où les détenus sont soumis à un isolement complet : ils sont mis au secret, ne sortent jamais dans la cour, n'ont pratiquement aucun contact avec les gardiens à qui interdiction est d'ailleurs faite de leur parler. L'homme devient ici un numéro matricule. Il n'a pas le droit de prononcer son propre nom; au besoin, il montre au gardien un morceau de carton portant son numéro. Deux prisonniers - un ancien fonctionnaire de la Gestapo et un Hongrois ayant fait partie pendant la guerre, dans son pays, d'une chaîne clandestine rattachée à Londres - furent transférés en mars 1954 dans une cellule ordinaire après avoir passé respectivement quatre et six ans dans cette section spéciale; au cours de la dernière année, ils partageaient, à titre de faveur, la même cellule. Serbet, qui les rencontra aussitôt après leur transfert, relate qu'à leur dire les cellules d'isolement avaient abrité au début de 1953 une dizaine de médecins impliqués dans le « complot des blouses blanches », ainsi que plusieurs personnalités politiques ou religieuses et quelques hauts fonctionnaires ( op. cit., pp. 372-380), Ce précédent indique peut-être le chemin tracé à l'évolution des camps de travail correctif par la décision secrète du conseil des ministres du 25 octobre 1956. D'ores et déjà, ces camps perdaient une partie de leurs effectifs par libérations et transferts dans les prisons des détenus considérés comme les plus dangereux. Si l'on complète ces mesures par l'acheminement des moins dangereux vers les colonies de travail correctif, il se peut que les camps en arrivent un jour à perdre leur « existence officielle». En U.R.S.S., il ne manque pas de choses qui n'ont point d'existence officielle.On en a déjà mentionné une : les prisonniers politiques. Le Droit sO'lJiétiqudeu travail correctif apporte des renseignements précieux, bien que très incomplets, sur les conditions faites aux détenus. A travers ces données se dessine un autre moyen de faire disparaître les camps sans les supprimer : en changer le nom. R,gtmes de d,tention LE TERME génériquede « colonie » est appliqué à trois types d'établissementspénitentiairesqui Biblioteca Gino Bianco 227 se distinguent les uns des autres par le régime de détention aussi bien que par la situation matérielle des détenus. Il existe un « régime général», un « régime adouci » et un « régime sévère », et les hommes soumis à ces régimes différents ne peuvent être mélangés, chaque établissement pratiquant exclusivement l'un d'eux (op. cit., pp. 100101, 179 et 182). Pour chaque condamné, le régime auquel il sera soumis est fixé immédiatement après son jugement (p. 181). On prend en considération le degré de « danger social» qu'il présente, le << caractère du crime par lui commis », l'âge, la peine, les condamnations antérieures, etc. (p. 182). Après avoir purgé une partie déterminée de sa peine, le prisonnier peut passer à un régime moins dur si sa conduite et son travail sont jugés satisfaisants ; à titre de punition, un régime plus strict peut lui être infligé (pp. 179 et 180). Le régime général des colonies (pp. 179-180 et 183-185) comprend les mêmes règles que, dans le passé, le régime général des camps de travail correctif (cf. Paul Barton : L'Institution concentrationnaire en Russie. 1930-1957, Paris 1959, pp. 152-158). Le régime adouci, sur lequel le manuel insiste particulièrement (pp. 180-181) est relativement récent. Il fut mis en vigueur à partir du printemps 1954, sous l'effet des grèves et soulèvements de l'année précédente; pouvaient en bénéficier, sur décision de l'administration du camp, les prisonniers ayant accompli un tiers de leur peine à condition de faire preuve d'un « redressement » satisfaisant. Au sujet du régime sévère, Le Droit soviétique du travail correctif se montre très laconique : Le régime sévère se distingue du régime général par l'aggravation des exigences auxquelles doivent satisfaire les détenus et par la rigueur du système de leur détention. Les détenus mis au régime sévère se trouvent dans des conditions plus strictes d'isolement, qui excluent absolument la possibilité d'habiter hors de la zone, ainsi que le travail et les déplacements sans escorte (p. 181). Le droit aux colis, lettres et visites est plus limité (p. 185). La différence entre le régime général et le régime sévère porte également sur les méthodes de surveillance et le nombre des gardiens,sur la qualité des baraquements, magasins et services sanitaires, sur la nourriture et sur la nature du travailassigné (pp. 181, 185, 224, 216,218 et 190). Selonles déclarations d'un juriste à la conférence consacrée au droit du travail correctif en mai 1957, le régime sévère prévoit « l'isolementrigoureux,l'affectationde préférence aux travauxmanuelspénibles, la prolongationde la journéede travail,lamise en comptedu nombre des journées de travail suivant des règles moins avantageuses » (L'Etat soviétique et le droi.t, 1957, n° 12). Tout cela correspondde très près au régime sévèreBJ?pliqudéepuis longtempsdans les camps de travailcorrectif à certainescatégoriesde forçats,
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