Le Contrat Social - anno V - n. 4 - lug.-ago. 1961

226 Théoriquement, le fonctionnement de celui-ci est régi par le Code du travail correctif datant de 1933, mais c'est là un texte caduc qui n'est plus appliqué depuis longtemps. En février 1957 et en décembi;e 1958, plusieurs députés parlèrent au Soviet suprême de la nécessité de mettre au point une législation nouvelle : leurs discours demeurèrent sans effet. D'autre part, le « Règlemènt des colonies de travail forcé et des prisons du ministère de l'Intérieur», adopté en 1958, est un texte secret. Si l'on n'ignore pas jusqu'à son existence, c'est que le procureur général R. A. Roudenko le mentionna dans son intervention au Soviet suprême en décembre 1958. Les auteurs du manuel eux-mêmes ne semblent pas être au courant de ses dispositions ; du moins n'en disent-ils rien. Finalement, la notion de source du droit est définie de manière à englober pratiquement n'importe quel acte administratif : Le Droit soviétique du travail correctif attribue cette qualité non seulement aux lois et décrets, mais encore aux ordres, instructions, statuts, règlements, consignes, règles, décisions et notes explicatives émanant des ministères de l'Intérieur et de leurs organes, ainsi qu'aux ordres, instructions et décisions de l'administration locale (pp. 55-56). A la conférence réunie à Moscou en mai 1957 pour étudier les problèmes de cette discipline juridique, un des rapporteurs laissa même entendre qu'il ne faut pas trop limiter l'arbitraire policier, tel qu'il s'exerce à l'intérieur des camps : les textes législatifs proprement dits ne devraient pas déterminer de façon précise l'organisation interne et le fonctionnement de ceux-ci, mais seulement les « problèmes fondamentaux » de leur activité, tout le reste étant abandonné aux décisions administratives (l'Etat soviétique et le droit, 1957, n° 12). Le manuel précise à son tour que « l'activité des institutions de travail correctif ne doit être affaiblie d'aucune façon» (p. 5). Des camps aux colonies DEPUISquelques années, les porte-parole du pouvoir soviétique proclament urbi et orbi que les camps de travail correctif n'existent plus, qu'ils ont cédé la place aux colonies de travail correctif. Cette réforme entraînerait, si elle était réelle, un adoucissement notable de la situation des prisonniers. Les colonies, réservées dans le passé aux personnes purgeant des peines de moins de trois ans, différaient considérablement des camps. Ce n'était certes pas une institution humanitaire, mais le régime y était moins strict, les conditions matérielles moins pénibles et, en général, ces établissements n'étaient pas situés dans des contrées éloignées. Cependant, si l'on cherche dans les déclarations officielles quelque information sur cette transformation, on ne trouve que contradictions, faux-fuyants ou affirmationsmanifestement fausses. Bibiioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE En mai 1957, au cours de leur entretien avec le professeur Berman, les deux hauts fonctionnaires affirmèrent que la décision de supprimer les camps avait été adoptée le 25 octobre 1956 par le conseil des ministres. Le manuel d'Outevski mentionne également cette décision, mais en laissant entendre que les camps n'en continuèrent pas moins d'exister. Dans un passage plein d'équivoques (pp. 80-81), il énumère d'abord les différents genres d'établissements qui entraient dans le système pénitentiaire jusqu'à la promulgation des « Principes de la législationpénale de !'U.R.S.S. et des Républiques fédérées » et du « Règlement des colonies de travail correctif et des prisons ». Les camps sont inclus dans la liste. Or les « Principes » et le « Règlement » furent promulgués en décembre 1958, donc plus de deux ans après la décision du ~5 ·octobre 1956. Suit une nouvelle liste d'établissements pénitentiaires, introduite par une phrase tortueuse qui trahit un grand embarras : Après qu'il eut été jugé inutile en 1956 de maintenir les camps de travail correctif dans le système des lie~x de privation de liberté, et aussi après la promulgation en 1958 des Principes de la législation pénale de !'U.R.S.S. et des Républiques fédérées, et du Règlement des colonies de travail correctif et des prisons du ministère de l'Intérieur de !'U.R.S.S. [les établissements suivants] allaient faire partie du système des lieux de privation de liberté. Les camps ne figurent plus dans cette seconde liste. Il ne s'ensuit nullement qu'ils disparurent après décembre 1958. La formule employée, « allaient faire partie » ( stali vkhodit), est délibérément ambiguë. Ce n'est pas le seul passage où Le Droit so'Oiétique du travail con-ectif cherche à donner l'impression que les camps ont été supprimés, tout en se gardant de l'affirmer nettement. D'autres formules évasives sont utilisées plus loin : Les Principes de la législation pénale de !'U.R.S.S. et des Républiques fédérées, de même que le Règlement des colonies de travail correctif et des prisons, ne mentionnent plus les camps de travail correctif. Cela se comprend parfaitement. On le sait, parmi les mesures tendant à améliorer le travail des organes du ministère de l'Intérieur, il fut jugé inutile de prolonger l'existence des camps de travail correctif et il fut décidé à cette occasion de les réorganiser en colonies de travail correctif (pp. 82-83). Une fois de plus, les cc il fut jugé», cc il fut décidé », etc., dispensent de dire si oui ou non · la réorganisation des camps en colonies eut effectivement lieu. Bien plus, les auteurs ne songent pas à condamner l'institution elle-même. Tout au plus admettent-ils qu'il y eut des infractions à la légalité « par suite de l'activité ennemie de Béria et de ses complices» (p. 45). Leurs efforts de justification vont jusqu'à caractériser les camps comme « une arme tranchante, mais humanitaire de l'Etat soviétique » (p. 83), ce qui ne porte nullement à croire que les camps appartiennent au passé. Peut-être les auteurs ne savent-ils pas

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