T SUR L'HISTOIRE DU COMINTERN par Jane Degras IL EST PEU PROBABLE qu'une histoire satisfaisante de l'Internationale communiste soit écrite prochainement, car les archives sont à Moscou et les articles parus depuis deux ou trois ans dans les périodiques soviétiques et qui prétendaient traiter de cette organisation montrent avec évidence qu'on n'entend pas les utiliser autrement qu'à des fins très limitées de polémique et de propagande. Rien virtuellement n'a été publié pendant une quinzaine d'années dans la presse communiste sur le Comintern ; la décision d'en faire de nou- ·veau un sujet légitime d'historiographie fut probablement prise en relation avec la campagne massive visant à rattacher les dirigeants actuels et leur régime aux origines léninistes (certains articles commencent et finissent par des citations de Khrouchtchev). 11 y a des morceaux sur« Lénine au premier Congrès », «Lénine au deuxième Congrès», etc.; d'autres sont des souvenirs sur· Lénine, et tous citent à profusion le fondateur. L'éditorial de Voprossy lstorii K.P.S.S. (1959, n° 3) sur l'importance d'étudier l'histoire du mouvement communiste contient 23 références à des citations dont 19 sont de Lénine. Cela, soit dit en passant, dans un article qui parle de «l'abondance de matériaux » disponibles pour de telles études. Après avoir lu ces articles, on peut ~e en vérité qu'on n'en sait pas plus qu'avant sur le Comintern 1 • Mais s'ils n'éclairent pas, ils parI. Trois ans après la publication du volume documentaire sur le Comintem composé par l'auteur de ces lignes, deux revues soviétiques en ont rendu compte. Pour illustrer le niveau de ces comptes rendus, on peut citer celui de Novaia i Noveichara lstoriia (1959, n° 2, p. 181) : u Degras va jusqu'à calomnier la classe ouvrière, déclarant que "l'échec de la grève internationale lancée pour soutenir la Russie soviétique et la Hongrie soviétique montra clairement que le ) Biblioteca Gino Bianco viennent à abuser ; et ils ont d'autres caractères communs - ou plutôt ce qui leur est commun est leur manque de caractère. Ils sont uniformément mous et mollement uniformes, à un niveau mortellement bas de lourde tromperie. Tous auraient pu être écrits par la même main sans nerf; pas un ne reflète - ce qu'on aurait au moins pu attendre de comptes rendus de ces origines - le sens de l'histoire en cours, les espoirs et les craintes, les illusions et les désespoirs qui virent le jour et fleurirent en Europe à la fin de. la guerre de 1914-18. Et cela n'est pas surprenant, car si ces auteurs doivent avoir constamment présent à l'esprit qu'il existe des noms qui ne peuvent être mentionnés, des événements qui doivent être subrepticement déplacés dans le temps, des débats où les paroles des opposants sont à censurer, sinon leurs rôles à renverser, comment leur travail peut-il avoir la moindre authenticité ? 11 y a plus de quarante ans que le Comintern a été fondé, dix-sept qu'il a été dissous. Aucun auteur communiste n'a encore tenté d'en écrire - l'histoire ou d'en apprécier la signification. L'éditorial déjà cité se plaint d~ manque d'attention que les historiens soviétiques manifestent envers le mouvement communiste. Pas une thèse de doctorat n'a été consacrée à ce thème: A ce propos, il est à noter que les historiens les plus expérimentés, les plus hautement qualifiés, n'orientent pas suffisamment leurs travaux sur les questions du mouvement ouvrier international. A peine si un acadéprolétariat de France et d'Angleterre était hostile à la Russie soviétique et se tenait aux côtés de Clemenceau et de Lloyd George " (p. 64). » Il est vrai que ces mots figurent à la page 64, mais il s'agit d'une citation de Rakosi au deuxième Congrès du Comintem et non d'une calomnie de l'auteur. Ce passage et d'autres similaires sont à la base de l'accusation selon laquelle l'ouvrage se caractérise par des falsifications, des déformations, etc.
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