L. SCHAPIRO N VOIT que nombre de traits positifs de la Q nouvelle législation laissent espérer que le règne du droit va se renforcer en Union soviétique. Le nouveau droit reste souvent sévère, mais une tendance à la clémence se fait jour. On a remédié à quelques anomalies et des règles garantissent l'accusé contre les pires injustices du passé. Il apparaît à certains indices que les juristes éclairés, qui ne sont pas rares, se sont tant soit .peu imposés, après bien des années de silence forcé ou de prudence élémentaire. C'est ainsi que la présence du professeur M. M. Strogovitch au nouveau comité de rédaction de l'État soviétique et le droit, organe de l'institut juridique de l'Académie des sciences, contrebalance en partie l'éviction de plusieurs autres · savants libéraux remplacés par des candidats dévoués au Parti tels que Golounski ou Romachkine. Si les procurateurs ont l'occasion, et le courage, de revendiquer en fait les droits qui leur ont été accordés sur le papier, il se peut qu'avec le temps s'implante une observation plus fidèle des textes. Car l'ordre légal est avant tout affaire de pratique quotidienne de la part de la nation, et les textes n'y suffisent pas. Par conséquent, en dernier ressort, tout dépendra de l'attitude du Parti. Les présages ne sont pas tous favorables. Pour prendre l'exemple le plus frappant, la nouvelle législation affirme nettement que seul un tribunal peut infliger une « sentence pénale », et seulement si l'accusé a commis un délit prévu par la loi. Cette disposition est évidemment destinée à prévenir le retour des pouvoirs exorbitants exercés au mépris de la loi par les organes de sécurité jusqu'en sep- - tembre 1953 10 • Cependant, à certains égards, (comme seul jusqu'à présent a osé le souligner humblement un critique soviétique), la pratique actuelle est déjà, même depuis l'entrée en vigueur des nouvelles lois, en contradiction flagrante avec le principe selon lequel un tribunal peut se~l prononcer une sentence (que cette sentence soit ou non « pénale », en langage technique, importe d'ailleurs peu à la victime). Il existe ainsi dans la loi soviétique d'innombrables clauses qui permettent d'infliger des peines légères par simple ~écision administrative; ces clauses restent en vigueur. Plus grave est l'existence dans nombre de républiques de lois « antiparasites ». Ces lois autorisent l'assemblée générale des habitants d'un quartier, qui doivent être présents au moins au nombre de cent, à bannir pour une période de deux à cinq ans, en plus du travail forcé, les individus et leur leur famille qui mènent une vie «parasitaire» 10. Le décret d'abrogation n'a pas été publié, mais le fait de l'abrogation a été mentionné à plusieurs reprises : cf. par ex. la Vie du Parti, 19$7~ n° 4, p. 68. Bibl.ioteca Gino B1anco 369 et ne se livrent pas à un travail utile à la communauté. Cette décision est sans appel, et celui qui revient sans permission commet un délit pénal. Comme en fait les organes locaux du Parti peuvent aisément réunir le nombre de citoyens dociles nécessaire à cette<<justice populaire », il est évident que le caractère discrétionnaire de ces lois (la nature du «parasitisme » n'est pas définie) a pour effet de permettre au Parti de frapper d'exil administratif toute personne jugée par lui indésirable. Il est cependant intéressant de noter ce qui pourrait bien être un signe de résistance : alors que les projets de lois « antiparasites » ont été publiés dans tout le pays, ils n'ont été adoptés jusqu'à présent que dans huit républiques (la dernière étant la Kirghizie le 15 janvier 1959, c'est-à-dire après l'entrée en vigueur des nouveaux principes de base); en particulier, ni la R.S.F.S.R. ni_ l'Ukraine n'ont encore adopté cette loi. Tout indique que le Parti attache beaucoup d'importance à cette sorte d'activité extra-légale qu'il considère contre un moyen efficace de lutter contre le crime. Au XXIe congrès du Parti, Khrouchtchev a souligné que ce type d'action «communale», destiné à la fois à prévenir et à réprimer les délits, devait remplacer petit à petit les tribunaux réguliers et la police. Ce qui constitue, selon lui, un exemple du« dépérissement de l'Etat » qui se produit à l'approche du communisme. Il est évident que dans les conditions soviétiques l'action « communale» ne peut que signifier l'action du Parti. Comme Khrouchtchev lui-même l'a reconnu à une autre occasion, le dépérissement de l'État sous le communisme n'implique pas le dépérissement du Parti : ce dernier, en tant qu'incarnation de la volonté de la nation, ne s'est jamais confondu en théorie avec l'État. Dans le même discours au Congrès, Khrouchtchev prétendait que personne ne purge actuellement une peine pour délit politique. Mais la conception du délit politique est très extensible, et ce sera une piètre consolation pour les critiques du régime exilés ou cloués au pilori par des assemblées populaires dominées par le Parti de savoir qu'ils ont été condamnés non pas en vertu de la loi pénale mais administrativement comme« parasites>>ou comme houligans. Le Parti a évide~ment conscience que le renforcement de l'ordre légal doit gêner l'espèce de licence administrative sur laquelle il a toujours compté pour imposer sa politique. Le « dépérissement de l'État » pourrait bien avoir pour but de faire pièce à la nouvelle tendance due à la pression de nombreuses couches de la société. Reste à savoir si les juristes seront assez forts et assez courageux pour résister à cette érosion du domaine de leur compétence. LEONARD SCHAPIRO. ( Traduit de l'anglais)
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==