QUELQUES LIVRES Désirs et réalités M CRANKSHAWest probablement le plus • connu des journalistes anglais spécialisés dans les affaires soviétiques. M. Salisbury occupe la même situation aux États-Unis : son interprétation de l'échec de la conférence « au sommet» fut instantanément reprise par une multitude de personnages officiels et de journalistes 1 . Dans un pays qui se fait gloire de compter des douzaines de spécialistes des questions soviétiques, le dernier livre de M. Salisbury 2 peut être considéré comme une calamité. M. Salisbury fait de Karakaroum la capitale de la Horde d'or (p. 211) alors qu'en fait la Horde était la partie de l'empire mongol dont la capitale se trouvait en Russie. Il assimile la faucille et le marteau au iarlyk de la Horde 'd'or, attribut du pouvoir d'un khan qui était tout autre chose qu'un simple insigne. Il n'adopte aucun système reconnu de transcription du cyrillique, et l'on a pu relever jusqu'à quatorze erreurs, que l'on se réf ère à quelque méthode que ce soit. Admettons que ce soit là pratique courante chez les journalistes. Mais il y a pire. L'auteur commence par quatre chapitres où il oppose l'atmosphère à Moscou et dans les environs en 1954 et en 1959 et y voit le « déclin d'un État policier ». Il est moins optimiste lorsqu'il examine la situation faite aux juifs. Il passe ensuite aux houligans, à l'affaire Pasternak et autres événements littéraires et artistiques ; il y a là des observations intéressantes. Mais à partir du chapitre X, ?n ~ous initie à la politique par un morceau idyllique sur Khrouchtchev, « le pâtre des petites vaches » et la politique du Présidium. Puis vient un chapitre sur la Sibérie et trois sur la Mongolie. . Dans le dernier, il est question des communistes chinois. Avec « Le conflit qui approche », nous r. Selon M. Salisbury,-ce sont << l'armée », les staliniens et les « Chinois » qui forcèrent la main à Khrouchtchev. Le professeur Alexandre Dallin a baptisé cette théorie << La légende du Nikita enchaîné» (New Leader, New York,20 juin 1960). Cf. aussi << The Nature of Khrushchev's Power» par Richard Lowenthal, in Problems of Communism, juillet~ aoüt 1960. 2. Harrison E. Salisbury : To Moscow - and Beyond1 New York 1959, Harper & Brothers. Biblioteca Gino Bianco entrevoyons le heurt inévitable entre la Russie et la Chine. C'est ensuite le tour de la prétendue lutte de Khrouchtchev contre les réactionnaires à propos de la presse. Enfin un coup d'œil sur « Ce que sera l'avenir » : une alliance soviétoaméricaine contre la Chine communiste, c'est du moins ce qu'espère M. Salisbury. L'auteur fait sienne la devise du journaliste : « Voir vaut mieux qu'entendre » (ou, en l' occurrence, que lire). L'infortuné qui, en URSS, doit voir mais qui ne peut rien voir, en est réduit à des rencontres de hasard, aux bavardages de la colonie étrangère et aux commentaires de la presse soviétique. M. Salisbury n'a pas vu les réunions du Présidium qu'il décrit (pp. 155-56), ni les machinations de « l'armée » et des « staliniens » (pp. 171 et 175) à qui l'on doit l'«enchaînement de Nikita », ni la Chine continentale à laquelle il consacre de nombreuses pages. Ses meilleures réussites ne ressortissent pas au reportage proprement dit, mais à la pure fiction ; ainsi d'un délicieux récit de cinq pages, imaginaire mais combien persuasif, de l'achat d'une émeraude de prix par l'épouse d'un privilégié du régime. Il n'était pas possible à M. Salisbury d'en voir davantage, mais il aurait dû être plus prudent. Il avait prédit qu'lgnatov succéderait à Vorochilov (c'est :tJrejnev qui, depuis, a obtenu le poste) et que Kiritchenko, aujourd'hui en disgrâce, remplacerait Khrouchtchev. On se demande sur quoi se fonde l'auteur lorsqu'il avance que la présence à Moscou d'anciens déportés est un « rempa~ . contre la montée d'un nquveau pouvoir policier» (p. 23) ; dans. la lutte pour la liberté de l'art,« il ne peut y avoir qu'une seule issue» - le succès (p. 126) ; le prétendu conflit soviétochinois au sujet de la Mongolie se traduira pour les Chinois par l' « adoption d'un nouvel .alphabet» -. qu'importe que la langue n'ait pas d'alphabet (p. 240) ; la reconnaissance par les Etats-Unis de la Chine communiste provoquerait l'afflux d' «informations de premier · ordre » sur le régime, alors que des observateurs de métier qui séjournent à Pékin depuis dix ans ne constituent que des « missions diplomatiques d'une efficacité douteuse » (p. 287). On ·aimerait voir l'auteur d'accord avec luimême, Après l'image d'un _Salisbury évoluant
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