.. TOLSTOI ET LE BOLCHÉVISME par V. A. Maklakov L'annexion de Tolstoï au pseudo-marxisme-léninisme est sans conteste une des plus choquantes i·ncongruitéscommises par les sectateurs du dogme en vigueur sous les héritiers de Lénine. Si même Tolstoï n'avait écrit que certaines pages célèbrespour réprouver de tout son être la peine de mort, elles suffisent à le rendre totalement étranger aux politiciens parvenus qui ont fait de la peine de mort l'alpha et l'oméga de leur régime dont le despotisme absolu surpasse de beaucoupl'absolutisme relatif du régimeprécédent. Le tsarisme avait aboli la peine de mort en matière criminelle. La révolution démocrati'que de févriermars 1917 la supprima en matière politique et militaire. Le gouvernement provisoire dut la rétablir « sur lefront », en raison des circonstancesexceptionnelles de la guerre, en juillet 1917. Au lendemain de la révolution d'Octobre, le 2e Congrès des soviets l'abolit de nouveau, conformément au programme · de tous les partis socialistes. En effet, le se Congrès socialiste international tenu à Copenhague en 1910 avait adopté à l'unanimité une résolution condamnant la peine de mort en tant qu' « institution honteuse » de la « bourgeoisie dégénérée». Et parmi les délégués qui ont voté cette résolution se trouvaient notamment Lénine, Trotski, Zinoviev, Kamenev, Plékhanov, Kollontaï et Lounatcharski (pour la social-démocratie de Russie) ; Rosa Luxembourg et Karl Radek (pour la social-démocratie de Pologne et de Lituanie) ; Clara Zetkin (pour la social-démocratie d'Allemagne) ; Racovski (pour les socialistes de Roumanie). L'abolition de la peine de mort allait de soi pour tous ces doctrinaires. Mais les bolchéviks ne tardèrent pas à la rétablir de facto, d'abord comme mesure passagère de guerre civile, puis de jure dans le Code pénal de 1922. Après quoi la peine· de mort fut introduite dans toute une série de lois, décrets et ordonnances pour être appliquée à tout propos et surtout hors de propos sous le système terroriste sans précédent qui a finalement imposé la dictature communiste. Des millions de victimes témoignent du reniement de ces pseudomarxistes qui prétendent avoir instauré le socialisme et dont l'hommage insincère offense la mémoire de Tolstoï, apôtre de la non-violence et du refus de porter les armes. Biblioteca Gino Bianco On imagine l'horreur qu'eût inspiré, à celui qui écrivit Le Salut est en vous, le régime oppressif de ceux pour qui le salut est dans « le Parti», en réalité dans une «oligarchie», comme disait Lénine. Mais on n'imagine pas qu'un Tolstoï puisse s'exprimer dans la Russie actuelle, alors que la plupart des écrits de Tolstoï ont pu paraître sous l'Empire. Le traitement infligé récemment à Pasternak prouve assez la différence. Sous le bolchévisme, les écrivains les plus doués ont dû prendre le chemin de l'exil : Bounine, Andréiev. D'autres ayant cru pouvoir s'adapter se sont avilis pour survivre : Gorki, à moins de périr dans la chiourme « socialiste »: Babel, Pilniak, ou de s'évader par le suicide : Essénine, Maïakovski, Marina Tsvetaiéva. Ces quelques noms, les plus connus, désignent des catégories nombreuses.Il n'en a pas fallu tant pour faire écrire à Tolstoï son fameux pamphlet: Je ne puis me taire. Si le« marxisme-léninisme» de Staline et Khrouchtchev est la négation cauchemaresque de l'éthique tolstoïenne, le bolchévisme de Lénine en était déjà l'antithèse malgré ce qu'il comporte de vaine théorie sur le futur dépérissement de l'Etat. C'est ce que V. A. Maklakov (cf. p. 381) a voulu démontrer dans une èonférence pertinente faite à Paris en 1921, alors que nul ne prévoyait les horreurs indicibles dont seraient capables les épigones de Lénine. De cette conférence, les extraits qui suivent donnent l'argumentation essentielle. Il faut les lire en se reportant quarante ans en arrière. LES HONNEURS dont les bolchéviks entourent la mémoire de Tolstoï ne sont un secret pour personne. Ils ont conservé son domaine, ont donné son nom à une rue et, pour l'anniversaire de sa mort, ils organisent des commémorations solennelles. Mais, chose encore plus étonnante, ceux que nous appelions communément les « tolstoïens », ses disciples et amis, ne sont pas dans le camp des ennemis et accusateurs impitoyables du bolchévisme; associés aux chefs bolchéviques, ils publient ses œuvres
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