Le Contrat Social - anno IV - n. 6 - novembre 1960

W. W. ROSTOW soixante ans, le monde devrait compter beaucoup de nations nouvellement parvenues à maturité : elles ne seront pas nécessairement riches ou prêtes pour l'âge de la consommation de masse, mais elles pourront utiliser toutes les ressources de la science et de la technologie. L'Inde et la Chine, qui compteront à elles deux quelque 2 milliards d'âmes, seront des puissances parvenues à maturité. Le communisme ne régnera peut-être plus en Chine, non plus que la démocratie en Inde ; mais une croissance étalée sur trois générations devrait amener la maturité. Les intérêts composés continueront bien entendu à agir dans les sociétés mûres, qui disposeront de plus en plus d'armes modernes si la course aux armements se poursuit; mais si l'on ne sort pas - de l'impasse, cela ajoutera sans doute peu à leur capacité d'user rationnellement de la force. Même dans lesÉtats actuellement communistes, l'essentiel de l'augmentation de la production sera probablement canalisé vers la consommation. Pendant ce temps, les puissances nouvelles s'engageront probablement dans la course aux armements nucléaires, sans jouer pour autant les premiers rôles, et réduiront l'abîme militaire qui les sépare des puissances plus anciennes. L'arène de la puissance a dès lors des chances de devenir pour la première fois vraiment globale ; et la puissance y sera progressivement dispersée. L'image d'un monde bipolaire, déjà inexacte, le deviendra de plus en plus. Celle de l'hégémonie eurasienne, à la fois effrayante et séduisante, perdra sa réalité en même temps que la domination mondiale deviendra un objectif de moins en moins réaliste. Voilà le climat dans lequel se _présentera le problème de la paix. Vers le contrôle des armements LE PROBLÈMtEechnique consiste à créer un système de contrôle en vertu d'un accord sur un niveau raisonnable des armements. Toutes les nations devraient être ouvertes à des inspecteurs qui pourraient aller partout, à tout moment, sans préavis. Leur présence ne serait pas une garantie absolue contre une attaque-surprise, mais elle rendrait la situation mondiale beaucoup moins dangereuse. Les gouvernements occidentaux accepteraient sans doute un tel système s'ils étaient certains de l'efficacité de l'inspection dans les pays du bloc communiste. L'accord serait réalisé dès maintenant si la politique· soviétique était commandée par les seuls critères d'intérêt national qui déterminent la politique occidentale. Pourquoi l'Union soviétique adhérerait-elle maintenant, pour des raisons nationales, à un système efficace de contrôle des armements ? Elle a des chances de voir entrer dans l'arène mondiale de grandes nations nouvelles qu'elle ne peut dominer et qui, à 1nesure que la puissance Biblioteca Gino Bianco 327 atomique se répandra, pourraient provoquer une guerre désastreuse. L'intérêt fondamental de l'Union soviétique devant les armes nouvelles et l'avènement de nouvelles nations, est de nature défensive, similaire en cela à l'intérêt des Occidentaux. La vieille lutte pour l'Eurasie, fondée sur la vulnérabilité de l'Europe orientale et de la Chine, appartient au passé. Le seul choix rationnel pour l'URSS consiste à se joindre aux autres puissances nucléaires pour mettre sur pied un système de contrôle des armements d'une efficacité telle que lorsque la Chine et les nouvelles nations australes parviendront à maturité, elles entreront dans un monde ordonné. Moscou en a déjà une certaine conscience. C'est pourquoi les Soviétiques réclament l'arrêt des expériences nucléaires pour assurer un certain statu quo atomique. Mais on ne peut attendre des autres nations qu'elles permettent aux Trois Grands de leur barrer la route tant que la guerre froide se poursuivra dans les mêmes conditions, hormis les essais de bombes. La seule chose que les puissances actuelles puissent faire est de définir les conditions auxquelles la puissance sera diffusée à mesure que d'autres nations marcheront vers la maturité. On peut rendre la diffusion moins dangereuse, mais non l'empêcher. Le gouvernement soviétique devrait alors renoncer à l'hégémonie mondiale du communisme. Déjà, dans la pratique, comme Tito et d'autres en ont fait l'expérience, lorsque la Russie soviétique a eu à choisir entre la propagation du communisme en tant qu'idéologie et l'exercice effectif du pouvoir depuis Moscou, elle a choisi ce dernier. Les Soviétiques pourraient alors sans trop de difficulté accepter tacitement le statut national classique dans un monde de puissants États-nations tout en conservant pour l'usage extérieur la rhétorique de la religion de domination mondiale d'antan. La rhétorique d'une nation peut se survivre comme une musique de fond familière et apaisante alors qu'elle a perdu depuis longtemps tout rapport avec la réalité. Le dilemme soviétique PAREIL STATUT, q.ansun système de contrôle des armements, supposerait des changements révoluti_onnaires dans les rapports entre l'État et le peuple russes. Depuis quarante ans, on répète aux Russes que les lois de l'histoire font que le monde extérieur est implacablement hostile, que le pays a besoin d'une police secrète omniprésente et de crédits très importants pour les investissements et les besoins militaires. Chacune de ces propositions serait battue en brèche par l'instauration d'un système efficace de contrôle des armements, qui créerait en fait une société ouverte en Russie. Comment justifier l'État policier si les Occitaux pouvaient se présenter à tout moment,

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