Le Contrat Social - anno IV - n. 3 - maggio 1960

186 qu'on appelle sommairement le socialisme utopique, retrouve de l'ampleur et s'avère riche d'enseignements. Tout compte fait, Saint-Simon fut meilleur prophète que Marx et l'on voit bien que même un Louis Blanc, par exemple, fut bien plus qu'un verbeux quarante-huitard. C'est néanmoins la troisième partie du livre qui suscitera chez le lecteur le plus vif intérêt, car G. Lefranc entreprend courageusement d'analyser les tribulations de la pensée socialiste depuis 1914. Que son étude ne soit point exhaustive, on s'en doute; qu'elle accueille un peu trop longuement ce dont l'auteur fut directement témoin, c'est péché véniel. Reste qu'il nous propose une très utile vue d'ensemble, qu'il a LE CONTRAT SOCIAL judicieusement mis en lumière les facteurs d'une évolution qui dans les pays dits capitalistes ne s'accomplit pas du tout selon les schémas des théoriciens, qu'il aborde enfin l'examen des thèses révisionnistes les plus récentes nées en Autriche, en Allemagne ou aux États-Unis. Révisionnisme ? On pourrait tout aussi bien parler d'un abandon complet du marxisme, le socialismeoccidental étant en quête d'une nouvelle formulation qui tienne compte de la révolution survenue dans les faits. S'il en convainc ses lecteurs, G. Lefranc aura beaucoup fait contre le sectarisme et la routine intellectuelle. . LÉON EMERY. POINTS D'HISTOIRE RÉCENTE Staline et Trotski DANS le Courrier socialiste, bulletin du socialisme russe en exil, une controverse a eu lieu au sujet des relations entre Staline et Trotski en 1925, après la mort de Lénine et avant la rupture irrémédiable des diadoques au Politburo. Le point est d'importance. Au chapitre XIII de son autobiographie, Trotski répond à la question : « Comment avez-vous pu perdre le pouvoir ? » en plaisantant sur la naïveté de ceux qui se représentent le pouvoir c, comme une montre ou un carnet qu'on aurait perdu ll. Il ne s'agit évidemment pas de cela. L'attitude des protagonistes au Politburo en 1925 a exercé une influence décisive sur le cours des événements ultérieurs, non seulement pour l'Union soviétique mais pour le monde entier puisque l'ascension de Staline prédéterminait la deuxième guerre mondiale. Il vaut la peine d'y voir clair. C'est par un article de N. Valentinov intitulé« Complément au J oumal de L. Trotski » que la controverse a commencé (n°s 2-3 du Courrier, février-mars 1959). Valentinov, le dernier survivant des compagnons de Lénine en 1903, à part Stassova, juge « énigmatique » la période en question, sur laquelle Trotski n'a pas dit grand-chose, et il croit en trouver la clef en rassemblant divers indices, en les raccordant à des rumeurs. Après Ja publication des Leçons d'Octobre en 1924 où Trotski mettait à mal Zinoviev et Kamenev, ceux-ci le firent évincer de la direction de l'armée (session du Comité central, janvier 1925) et voulurent le faire exclure du Parti (c'est-à-dire le livrer au Guépéou). Staline leur fit obstacle et les empêcha même d'éliminer Trotski du Politburo. Quelque temps après, des bruits coururent, relatifs à une rencontre secrète entre Staline et Trotski, soit au Caucase, soit à Moscou. Selon Valentinov, Staline avait alors besoin ·de l'assentiment de Trotski pour changer le nom de Tsaritsyne en Stalingrad. En échange de quoi il aurait favorisé la nomination de Trotski à la tête du Conseil supérieur de l'économie. Mais il n'existe aucune trace écrite de cette entrevue supposée. Tsaritsyne devint Stalingrad le 15 avril 1925 et, peu après, Trotski fut nommé à plusieurs postes dirigeants Biblioteca Gino Bianco de l'économie, où dès lors il multiplie les preuves de loyalisme. Il se tait au Politburo comme au XIVe congrès du Parti, écrit pour la Pravda l'article conformiste «Vers le socialisme ou le capitalisme ? » bien que la politique du « communisme de droite » fût alors prépondérante. Bref il est « dans la ligne ». Il va jusqu'à désavouer ses amis de l'étranger qui ont pris sa défense, comme Max Eastman dont le livre Depuis la mort de Lénine a été inspiré par lui. Il nie même l'existence du «Testament» de Lénine qu'Eastman a divulgué, il publie contre Eastman une lettre acerbe dans le Bolchévik, n° 16, lui inflige des démentis contraires à la vérité - lettre à propos de laquelle Staline dira que Trotski « s'est traîné aux pieds du Parti ». Valentinov s'interroge sur cette attitude et il y remarque un tournant à l'automne de 1925, quand il eut à fréquenter Trotski pour les besoins du service au Conseil de l'économie. Alors, écrit-il, Trotski redevient critique à l'égard du Politburo, blâme la politique en cours, cesse de s'intéresser au Conseil de l'économie dont il démissionne ainsi que d'autres fonctions, mais peut-être pour raisons de santé car il partira en 1926 pour Berlin où il doit subir un traitement médical. Valentinov explique le revirement de Trotski en supposant que celui-ci, trompé par Staline qui lui aurait promis la présidence du Conseil supérieur de l'économie en échange de Tsaritsyne, a perdu patience en se yoyant frustré, puis a repris la lutte contre Staline. Il se rapproche alors de Zinoviev et Kamenev, ses pires ennemis, avec lesquels il formera en 1926 le «bloc» de gauche dont Staline copiera le programme après avoir annihilé le communisme de droite. A cette argumentation, N. Sedova, la veuve de Trotski, répond dans les n°s 8-9 du même bulletin (août-septembre 1959) et dément catégoriquement l'histoire de la rencontre secrète, dit que Trotski a toujours été contre le changement du nom de Tsaritsyne en Stalingrad, réfute comme arbitraire la « combinaison » de Valcntinov, mais sur le reniement dont Max Eastman ·a été •Victime, elle fait preuve d'un embarras sur lequel il serait cruel d'insister.

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