POINTS D'HISTOJRh.· Rf.:CE'NTJ.:,· Enfin le n° 12 du Courrier (décembre 1959) publiait une lettre d'un certain Z. Merlon qui, en falsifiant le témoignage déjà très suspect d'un ancien subordonné de Staline, en trichant avec une référence inexacte à Trotski, etc., veut essayer de prouver que Trotski s'est opposé en mai 1924 à la confirmation de Staline comme secrétaire général du Parti. Cette lettre, mensongère d'un bout à l'autre, tend à faire de Trotski le seul membre du Politburo et du Comité central qui se soit efforcé de faire respecter la clause principale du « Testament » de Lénine : écarter Staline du secrétariat. La controverse en était là quand il fut convenu de la conclure par une lettre de B. Souvarinc qui mettrait les choses au point. Lettre qui a paru, traduite, dans le n° 4 du Courrier (avril 1960) avec un passage quelque. peu modifié, mais dont le texte français original est reproduit ci-après. Elle intéressera sans doute les historiens et les politiques curieux de savoir les circonstances où Staline a pu s'emparer du pouvoir, étant entendu qu'elle n'épuise pas la question mais contribue à la poser correctement. Paris, février 1960. A PROPOS de la controverse N. Valentinov-N. Sedova concernant l'attitude « énigmatique » de Trotski en 1925, le Vestnik a publié (n° 12-736) une lettre qui dénature les faits tout en invoquant les « données de l'histoire ». A cette histoire, permettez-moi d'apporter quelque contribution. On ne peut contredire N. Sedova quand elle affirme qu'aucune entrevue secrète entre Trotski et Staline n'a eu lieu en 1925, tant pour placer Trotski à la direction des affaires économiques que pour changer Tsaritsyne en Stalingrad. On ne saurait pourtant lui donner raison quand elle soutient que Trotski fut et resta «ouvertement hostile » à ce changement de nom : lui-même ne le dit pas dans ses mémoires, se bornant à ironiser discrètement sur la vanité de Staline. Alors qu'en 1923 Gatchina était déjà devenue Trotsk et qu'en 1924 Elisavetgrad s'était changée en Zinovievsk, comment refuser à Staline en 1925 la satisfaction de conférer son nom à Tsaritsyne, ensuite à Kalinine celle de substituer le sien à Tver, en attendant que Perm devienne Molotov? Soucieux du culte de leur personnalité respective, ces singuliers «marxistes » se sentaient tenus d'observer une loi de réciprocité non écrite, sans nulle implication de marchandage. La question majeure n'est pas là. Elle est dans le fait que Trotski, comme tous ses collègues du Politburo, a refusé deux fois la démission de Staline, bien qu'il ait écrit plus tard dans Ma Vie (t. 2, p. 247) que Staline « resta, malgré Lénine, secrétaire général», et bien qu'il ait invoqué maintes fois le «Testament» de Lénine pour condamner la présence de Staline au secrétariat du Parti. Répondre à cette question, c'est dissiper «l'énigme» dont parle Valentinov. Sans le moindre doute, Trotski a longtemps jugé nécessaire de maintenir Staline au secrétariat, même « malgré Lénine». Il raconte lui-même dans Ma Vie (t. 2, p. 224) qu'après avoir reçu les notes de Lénine sur la question nationale, il eut avec Kamenev une conversation et lui dit : « Je suis pour le statu quo (...) Je suis contre la liquidation de Staline, contre l'exclusion d'Ordjonikidzé, contre l'élimination de Dzerjinski des Voies de communications», (à' ce moment, Trotski ignore le « Testament » mais non la u bombe » que Lénine préparait contre Staline pour le XIIe Congrès, op. cit., p. 220). iblioteca Gino Bianco 187 Son admirateur et biographe Max Eastman, dans Since Lenin Died (1925) rapporte que Trotski« described Stalin tome as, among other things," a brave man and a sincere revolutionist" » (p. 55). Appréciation qui contraste avec celle que Trotski formulera plus tard à l'intention de Sklianski : «Staline, lui dis-je, est la plus éminente médiocrité de notre parti » (op. cit., p. 255). Si cette opinion date vraiment de l'été 1925, selon Trotski qui se trompe très souvent sur la chronologie, elle ne signifie pas encore que son auteur envisageât alors d'éliminer Staline du secrétariat : il n'y viendra qu'au milieu de l'année 1926, comme cela sera prouvé plus loin. A la xvc Conférence du Parti (oct.-nov. 1926), Ouglanov prononça des paroles que Trotski n'a jamais contestées et que voici : «Les ouvriers de la cellule Aviopribor ont bien répondu à Trotski quand celui-ci, comme un riche patron, a dit dans son intervention : " Certes, le camarade Staline est l'homme le plus éminent de notre parti, le militant le plus important ; sans lui on ne saurait constituer le Politburo. " Un des camarades questionna, dans son discours de conclusion : " Comment? Voilà bien la pire hypocrisie, de dire que Staline est l'homme le plus éminent du Parti, alors que deux semaines auparavant vous le traitiez de fossoyeur du Parti et de la Révolution ..." Le camarade Trotski répondit : " Sous le contrôle du Parti, sous le contrôle du Parti"» (p. 633 du compte rendu sténographique). En croyant se tirer d'affaire par ces mots : « Sous le contrôle du Parti », qui ne démentent nullement les paroles qui précèdent, Trotski donne la clef de ce qui paraît «énigmatique » non seulement à Valentinov, mais à tous les historiens qui se sont intéressés à son cas : il avait adopté la fiction dogmatique léniniste du Parti identifié au prolétariat et du Politburo incarnant le Parti. Et il se mettait dans une contradiction insoluble, non seulement en faisant tantôt l'éloge outré, tantôt la critique acerbe de S_taline, mais en préconisant à son endroit le «contrôle du Parti», c'est-à-dire en pratique le contrôle de S~aline sur Staline. On connaît le mot de Lénine sur le Parti transformé en «oligarchie». Trotski ne pouvait ignorer que le Comité central et son Politburo se formaient par cooptation. Au XIIIe Congrès, en 1924, il déclare cependant : «Aucun d'entre nous ne peut avoir raison contre son parti. En dernier ressort, le Parti a toujours raison ... » Il paraphrase la formule anglaise : « Right or wrong, my country ... » pour conclure:« Qu'il ait tort ou raison., c'est mon parti. ,, Au XIVe Congrès, en 1925, Staline ne se gêne pas pour rappeler : «Est-ce que le Politburo n'est pas souverain [ou omnipotent]?» Mais c'est seulement en août 1927, au Comité central, que Trotski répliquant à Molotov se décidera à reconnaître: « Le Parti, vous l'avez ~touffé » (La Révolution défigurée, éd. fr., p. 162). On comprend qu'en 1925 il soit dans l'expectative, n'osant pas attenter au caractère sacré, au tabou du Parti. · On comprend aussi qu'il n'ait pas rompu l'unanimité du Politburo quand celui-ci décida de passer outre au conseil de Lénine et de refuser la démission de Staline : à part la haute opinion qu'il se faisait de Sta• linc en tant que secrétaire, en tant qu'homme pratique et assumant de sinistres besognes policières qui répugnaient à des intellectuels, il n'avait pas de candidat à lui opposer. Dans un discours au Comité central, le 23 octobre 1927, Staline a rappelé qu'après révélation du «Testament», il avait deux fois demandé, à un an d'intervalle, d'être « libéré de ses obligations de secrétaire général», mais en vain (t. 10 de ses Œuvres, pp. 175-176). Trotski ne pouvait le démentir et ne l'a
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