184 qu'il explique par des principes éternellement propres à l'organisme humain et, dans tous les domaines, il discernait la compétition de deux forces, l'une conservatrice (l'habitude, seconde nature), l'autre progressive (la volonté d'améliorer la condition humaine). Il faut beaucoup d'aplomb au préfacier (mais il n'est pas responsable, il écrit par ordre) pour citer, par exemple, une phrase où Dobrolioubov s'en prend à des gens qui « condamnent l'art à l'immobilité et assignent à la critique les fonctions d'un département de police». Ou cet autre passage de l'auteur coupable d'idéalisme : « Ce ne sont pas les faits qu'il faut adapter à une loi préconçue ; il faut déduire la loi même des faits, sans les violenter arbitrairement ... » Qui donc, à notre époque, violente les faits pour les adapter à une loi préconçue ? Il ne manque pas, dans ce choix de textes philosophiques, de quoi confondre ceux qui se réclament indûment d'un tel « précurseur». Au cours de son étincelante et si brève carrière littéraire, Dobrolioubov a produit de quoi composer neuf volumes dans l'édition d'Anitchkov (Saint-Pétersbourg, 1912). Une édition en six gros tomes a été publiée à Moscou, de 1934 à 1939. Le présent recueil offre une quinzaine de textes qui donnent un aperçu de l' œuvre riche et diverse du sympathique écrivain, admirable à maints égards. La traduction est consciencieuse, mais sans aisance, et parfois fautive ; exemples : décade signifie dix jours, et non dix années ; servagiste n'est pas français ; émérite veut dire retraité, non pas éminent ; paysannerie est une peinture littéraire ou autre de mœurs paysannes, non la classe sociale des paysans ; etc. Quant à la ponctuation, elle laisse fortement à désirer : pullulement de virgules superflues, voire gênantes ; manque de guillemets aux citations ; etc. La mauvaise qualité sous ce rapport n'est pas spéciale au livre en question ; trop d'éditions en France sont tombées au même niveau; raison de plus pour réagir là contre. SYLVAIN MEYER. La coexistence idéologique PYNMINE : Histoire de l'amitié sino-soviétique (en russe; traduit du chinois). Moscou 1959, Ed. de littérature économico-sociale, 360 pp. LES RELATIONeSntre dirigeants soviétiques et chinois ayant lieu à huis clos, chacun se sent libre d'opiner à sa guise : les communistes peuvent vanter leur « amitié monolithique » et les commentateurs, observateurs et autres spécialistes occidentaux dévoiler à chaque instant de nouveaux « conflits » entre Pékin et Moscou. Et la vérité historique est mise à dure épreuve par les efforts de ceux-ci à corroborer leur thèse sur le conflit Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL permanent et par la tendance de ceux-là à falsifier les faits dans la tradition de l'école stalinienne. L'ouvrage de ce Pyn Mine, publié à Pékin et à Moscou, présente sans aucun doute la version officielle et autorisée des rapports sino-soviétiques. De plus, son auteur semble préposé à cette besogne par le Parti : il avait écrit déjà en 1955 une première histoire de l'amitié des peuples soviétique et chinois. Contrairement à la situation P,résente, les rapports entre les Soviétiques et les Chinois dans le passé sont relativement connus, grâce aux documents, aux témoins, aux artisans mêmes de cette histoire. Aussi lorsqu'une version officielle évoque ces événements, l'intérêt réside moins dans les révélations éventuelles que dans des omissions ,, et des mensonges. Rien n'est laissé au hasard dans ce genre de travail. Les rôles assumés dans le passé sont répartis selon l'importance actuelle des personnages; par conséquent Mao Tsé-toung et Liou Chao-chi apparaissent dès le début « dans la pléiade des fondateurs du parti communiste chinois» (p. 91), alors que son vrai fondateur et secrétaire général, Tchen Dou-siou, est passé sous silence, ainsi que d'autres protagonistes du mouvement communiste en Chine. La célèbre déclaration de Sun Yat-sen et de Ioffé en 1923 devient « la déclaration de Sun Yat-sen et du représentant de la Russie soviétique» (p. 108); le premier congrès du Kuomintang, en janvier 1924, est désormais marqué par le rôle de Mao Tsé-toung, alors que Borodine n'est mentionné nulle _part; la fondation de l'Académie militaire de Whampoa exige le nom de Tchou En-lai, son commissaire politique, mais pas celui de son véritable chef, le général soviétique V. Blücher (mis à mort par ordre de Staline). Certes le procédé est inhérent à l'historiographie communiste et cela n'a rien d'exceptionnel d'apprendre que toutes les victimes de Staline et de Mao Tsé-toung n'ont tenu aucun rôle dans le pas·sé, sauf celui de traître.. Mais il y a des manières de traiter ou de ne pas traiter certains problèmes et certains événements qui dénotent une sorte de gêne dans une version où tout s'explique par la parfaite amitié sino-soviétique. Par exemple au sujet de la Mongolie extérieure, autrefois territoire chinois et devenu premier satellite soviétique, l'ouvrage insiste constamment sur le fait que l' « indépendance » de ce pays a été re,connue aussi bien par Sun Yat-sen que par le gouvernement de Tchang Kaï-chek. Mais l'auteur passe totalement sous silence le texte du premier accord soviéto-chinois, signé le 31 mai 1924 et dont l'article 5 stipulait : « Le gouvernement de l'URSS reconnaît que la Mongolie extérieure fait partie intégrante de la République de Chine, et elle respecte la souveraineté chinoise sur elle. » Cet article comportait en même temps l'engagement par les Soviétiques de retirer leurs tr~upes de la Mongolie. Mao Tsé-toung pas plus
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