166 Si l'acteur restait ainsi plus ou moins libre, les pièces devaient traduire une attitude positive à l'égard de la politique bolchévique. L'attention accordée à l'étiquette politique eut d'importantes conséquences : d'abord la rupture radicale du théâtre avec la tradition russe (Tolstoï, Tchékhov); ensuite l'émigration de tous les grands auteurs dramatiques prérévolutionnaires; Gorki et Andreïev en tête ; enfin le provincialisme de la dramaturgie soviétique du début qui, par contraste avec l'art de la mise en scène du « théâtre révolutionnaire », ne franchissait guère les frontières. Le théâtre révolutionnaire éprouvait de l'antipathie pour l'œuvre littéraire proprement dite. Meyerhold, Taïrov et Eisenstein prenaient pour base de leurs créations scéniques non pas des pièces mais de simples livrets. Les meilleurs parmi les spectacles montés pendant cette période - comme le Mystère-bouffe de Maïakovski, « représentation héroïco-épico-satirique de notre ère », le Trust D. E. d'Ehrenbourg, charge fantastique et grotesque du capitalisme, et la pièce révolutionnaire de Trétiakov Gronde, Chine - ne présentent plus eux-mêmes aujourd'hui qu'un intérêt historique. En 1923, quand l'ardeur révolutionnaire commença à décliner, Lounatcharski lança le mot d'ordre du « retour à Ostrovski» 1 • Il entendait par là revenir à la critique sociale réaliste et psychologiquement plausible de la comédie de mœurs cultivée par les classiques russes de la fin du x1xe siècle. Il y avait à cela des raisons politiques aussi bien qu'artistiques. Avec l'introduction de la nep, les éléments capitalistes avaient reparu et si le régime approuvait leur existence, il s'efforçait néanmoins de les combattre sur le plan idéologique. De plus, une nouvelle classe avait surgi, une bureaucratie qui, dans sa conception de la vie et ses mœurs, était bien loin du dévouement à la cause et du puritanisme des hommes qui avaient fait la révolution. L'objet des nouvelles pièces de critique sociale était donc de protéger la pureté de l'idéal révolutionnaire. Pendant cette période, quelques dramaturges de grand talent, tels que Boulgakov, Afinoguénov, Kataïev, Erdman, Faïko et Chkvarkine, parvinrent à· la maturité; c'est cependant Maïakovski, avec ses satires La Punaise et Les Bains, qui dominait de nouveau la scène. . Mais plus il devenait évident que les symptômes de dégénérescence qui se manifestaient dans la société soviétique étaient des traits du système communiste lui-même plutôt que des vestiges du capitalisme, plus la comédie de mœurs devenait embarrassante à traiter. Certes les dramaturges tentaient bien, par le camouflage idéologique, le· deus ex machina, le. happy end, . d'expliquer 1. A. Ostrovski (1823-86), auteur dramatique de premier plan, met en scène la vie des marchands russes de l'époque, avec son isolement, ses prétentions et sa duplicité. Il demeure l'auteur dramatique russe le plus populaire dans son pays. (N.d.l.R.) Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COM/vlUNJS1'1:,' les maux existant comme des « maladies de croissance» ; le public, lui, se sentait seulement confirmé dans son aversion pour le système et tirait ses propres conclusions politiques, qui étaient loin d'être orthodoxes. La période de critique sociale, après avoir inspiré de grands espoirs, passa aussi vite que la nep; presque tous les dramaturges de cette école se trouvèrent en mauvaise posture sous le stalinisme. Les années 30 A LA FIN des années 20 et au début des années 30, le Parti donna son approbation à deux nou-• velles formes dramatiques. L'une était la « pièce de construction » patronnée par l'organisation des écrivains, la R.A.P.P. 2 , qui visait à populariser le premier plan quinquennal. L'exemple le plus connu de la « pièce de construction » est Les Aristocrates de Pogodine, comédie macabre ayant pour sujet le travail forcé à la construction du canal Baltique-mer Blanche. Cependant ce genre devait être bientôt proscrit à son tour en raison de ses traits authentiquement réalistes. L'autre type officiellement encouragé en ces années-là était la « pièce révolutionnaire classique»; exemples : Lioubov Iarovaïa de Tréniov, La Première Armée de cavalerie et la Tragédie optimiste de Vichnevski, Le Train blindé 14-69 de Vsévolod Ivanov. En dépit de leur idéologie bolchévique, ces pièces se caractérisaient par une vérité et une bonne foi relatives dans leur tableau de la guerre civile ; elles peignaient des destins humains tragiques avec un pathos saisissant et un romantisme révolutionnaire. Par contraste avec les ·pièces de critique sociale, ce genre, qui avait l'approbation de Staline, fut déclaré sacro-saint. Pourtant leur vérité et leur qualité dynamique les rendaient apparemment si explosives que, tout en étant l'objet de beaucoup d'éloges, elles n'étaient pas souvent représentées. - Une place à part était tenue par les pièces historiques d'Alexis Tolstoï et les dernières œuvres de Maxime Gorki. Dans ses pièces sur Pierre le Grand et Ivan le Terrible, le comte Tolstoï, devenu « poète de cour » de Stalin~, assimilait habilement aux grands règnes du passé ceux de Lénine et de Staline. Bien qu'il se soit efforcé à des comparaisons flatteuses, discutant même ses textes avec Staline, il dut finalement les récrire. Les dernières pièces de Gorki, I égor Boulitchev et autres, Dostigaïev et autres, et la deuxième 'Version de Vassa Jeleznova sont parmi les meilleures choses qu'il ait écrites. Toutefois 1~~ sujets sont prérévolutionnaires ,et c'est un 2. Abréviation pour Association russe des auteurs prolétariens, organisation ayant succédé au Proletkult. Accusée d'excès de zèle et de sectarisme, la R.A.P.P. fut dissoute le 23 avril 1932 par un décret du Comité central et remplacée par l'Union des écrivains soviétiques. Léopold Auerbach, dirigeant de l'Association, fut liquidé pendant la Grande Purge.
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