J. RUEHLE fait qu'elles ne firent pas école. La seule œuvre de Gorki qui ait pour sujet la vie soviétique est Somov et autres. Composée à son retour en Union soviétique (1928) et sous l'effet du procès de Chakhty 3 , elle est du point de vue artistique beaucoup plus faible que les autres œuvres de la fin de sa vie. Or c'est précisément cette pièce qui fut interdite sous le stalinisme. Bien que Gorki attaquât dans Somov les cc ennemis de l'État », il rejetait la cc théorie d'agent» des procès truqués. Dans les années 30, le théâtre soviétique cessa d'exister en tant qu'art. A de très rares exceptions près (par exemple, L'Ombre d'Eugène Schwartz, fantaisie à clé, et quelques pièces sur la période de guerre), l'art dramatique de l'époque stalinienne n'était qu'un des instruments de la propagande totalitaire. Ce n'est pas en vain que Staline appelait ses écrivains les « ingénieurs des âmes». Ils devaient noircir l'Occident (La Voix dé l'Amérique, de Lavréniov, La Question russe, de Simonov), cultiver la tradition russe (Feldmaréchal Koutouzov, de Soloviev, La Famille, de Popov), élever les jeunes dans l'idéologie communiste (Tamerlan et ses compagnons, de Gaïdar, L'Écharpe rouge, de Mikhalkov), stimuler la production (Tempérament moscovite, de Sofronov, Le Feu vert, de Sourov) et, en général, glorifier la vie soviétique (Forêt des aînés, de Korneïtchouk, Aube sur Moscou, de Sourov). La plupart des œuvres répondaient en fait à toutes ces exigences. « Drame sans conflit » Au LENDEMAIN de la deuxième guerre mondiale, une justification théorique fut avancée à l'app1;1i des insipides pièces de propagande qui continuaient d'encombrer la scène. Il s'agissait de la théorie du « drame sans conflit » formulée par Nicolas Virta, Boris Lavrénev et quelques autres. Selon eux, le principe fondamental du t~é~tre traditionnel, le conflit entre les forces positives et négatives, n'était plus de mise, puisque tous les antagonismes sociaux avaient été résolus et que la vie soviétique baignait dans le bonhe~r et l'harmonie. Un seul conflit subsistait : le conflit entre le bien et le mieux. Un désaccord entre citoyens soviétiques était inconcevable ; il pouvait tout au plus y avoir des malentendus. 3. Le procès de Chakhty de 1928 concernait un groupe prétendument contre-révolutionnaire d'ingénieurs de la ville de Chakhty, dans le Caucase du Nord .. Ces tech~ici~ns étaient accusés de collaboration avec les anciens propriétaires des mines locales qui avaient émigré, afin de se livre_r à . u~ sabotage systématique. L'accusation et le procès qui, su1v1! furent fabriqués par Staline, sans aucune preuve a ~ appm et malgré les protestations d~ ses col!ègues. du ~olit~uro. Après avoir u avoué » des crimes variés, cmq mgémeurs furent condamnés à mort et quarante-neuf autres à des peines d'emprisonnement. Le procès inaugura une période de persécutions de l'intelligentsia et, _premier. en date des comédies judiciaires du régime,. il allait dev~~ir la ~é~hode favorite de Staline pour anéantir ses advers1aires poht1ques. Biblioteca Gino Bianco 161 Aussi proposait-on de rayer le mot «conflit» du vocabulaire de l'auteur dramatique. La notion d'absence de conflit n'était certes pas née spontanément dans ~'espi:it d'é~i:ivains comme Virta et Lavrénev (qw avaient d,all!-eu~s traité de conflits peu auparavant). Il s agissait plutôt du produit logique ~e la po~tique cult~- relle de Jdanov, lequel avait proscrit toute presentation vraie ou critique. de la réalité co~e une cc calomnie contre la vie et le peuple sovietiques ». Une résolution du Comité central, cc Sur le répertoire des théâtres», avait condamné en 1946 toutes les pièces où les Soviétiques ~t~it prétendument caricaturés en tant que « philistins ». Dans la pratique, la tendance à éliminer le~ conflits fut poussée à l'extrême. Comme l'a no~e le dramaturge Nicolas Pogodine, on n~ voya,it plus sur scène que des « personnages bien, tres bien et extrêmement bien». Fils de Moscou, de Rochkov, avait ainsi pour toute intrigue une discussion entre deux ouvriers stakhanovistes sur les détails technologiques de la rationalisation.,du travail de forge à grande vitesse. Une autre piece avait pour sujet les querelles de_~~ux a~o~reux conscients de leurs responsabihtes socialistes, incapables de se mettre d'accord sur la meilleure manière de faire pousser les pommes de terre. L'homme de la rue donna à cette peinture en rose de la réalité soviétique le nom de lakirovka (vernissage). Personne n'avait plus le courage ~e traiter de manière critique le peuple ou la vie soviétiques. Certains auteurs, dont Sourov, lauréat de plusieurs prix Staline, préférèrent re~- bourser au Théâtre satirique les avances qu'ils avaient reçues pour des comédies commandées plutôt que de remplir leurs engagements. Telle était la situation lorsque parut un éditorial de la Pravda qui fit sensation (7 avril 1952). Il était dirigé contre l'état du théâtre soviét!que et contre les partisans du « drame sans conflit » La cause principale de la pauvreté de notre production dramatique et de la faiblesse de beauco~p de pièces réside dans le fait que les auteurs dramatiques ne fondent pas leurs œuvres sur les conflits profonds de la vie, mais les évitent au contraire. A en juger par ces pièces, tout est bon et idéal en URSS, il n) exis!~ pas de conflits. Çertains auteurs semblent croire ~u il leur est interdit de critiquer ce qui est mauvais et négatif dans la vie soviétique. Certains critiques demandent même que les œuvres d'art ne présentent que des types idéaux ; si quelque auteur ou dramatur~e ~évèle les choses négatives qu'on trouve dans la vie, ils le déchirent à belles dents. Cette attitude est erronée ... Tout n'est pas idéal dans le pays soviétique; il y a parmi nous des types négatifs; il y a pas mal de laideurs dans notre existence et un certain nombre de gens de mauvaise foi. Nous ne devons pas craindre de montrer nos défauts et nos difficultés. Les défauts doivent être corrigés. Si l'attaque de la Pravda était dirigée, bien entendu, contre les auteurs dramatiques soviétiques plutôt que contre la politique du Parti (seul
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