Le Contrat Social - anno IV - n. 3 - maggio 1960

LE THÉATRE SOVIÉTIQUE par Juergen Ruehle RIEN NE PEUTmieux résumer le déclin du théâtre soviétique sous Staline que le mémorable discours prononcé par Vsévolod Meyerhold en 1939 - quelques jours avant son arrestation - au premier Congrès des metteurs en scène de théâtre soviétiques à Moscou: ' Comment décrire les tendances actuelles de notre théâtre ? Je dois vous parler net : si ce qu'a produit récemment le théâtre soviétique est de l'antiformalisme, si ce qui se joue aujourd'hui sur les meilleures scènes de Moscou est une conquête du drame soviétique, je préfère être considéré comme un formaliste. Pour ma part, je trouve le travail actuel de nos théâtres pitoyable. J'ignore si c'est de l'antiformalisme, ou du réalisme, ou du naturalisme, ou quelque autre « isme », mais je sais que c'est mauvais et dénué d'inspiration. Ce quelque chose de pitoyable et de stérile qui aspire au titre de réalisme socialiste n'a rien de commun avec l'art. Or le théâtre est un art, et sans art il ne peut y avoir de théâtre. Allez dans les théâtres de Moscou et voyez les productions ennuyeuses, incolores, qui, toutes, se ressemblent et ne diffèrent que par le degré d'insignifiance. On ne peut plus reconnaître la griffe créatrice du Théâtre Maly, du Théâtre Vakhtangov, du Théâtre de Charohre ou du Théâtre d'Art. Là où, récemment encore, la vie battait son plein, où des artistes cherchaient, commettaient des erreurs, faisaient des expériences et mettaient sur pied des productions parfois mauvaises, parfois magnifiques, il n'y a plus maintenant qu'un manque de talent déprimant, plein de bonnes intentions certes, mais désespérant. Était-ce là votre but ? Dans ce cas, vous avez commis un acte horrible. Vous avez jeté le pavé de l'ours. En cherchant à extirper le formalisme, vous avez détruit l'art. Ce discours coûta à Meyerhold la liberté et la vie. Ce n'est que treize ans plus tard que le Parti lui-même reconnut le triste état de la scène soviétique. En avril 1952, la Pravda avouait, Biblioteca Gino Bianco· dans un éditorial intitulé << La lutte contre le retard du théâtre», que le niveau n'avait jamais été aussi bas : « Du grand nombre de pièces écrites par les auteurs dramatiques soviétiques, seules quelques-unes peuvent être jouées. L'énorme disparité entre la quantité et la qualité des pièces d'aujourd'hui signifie que nombre d'auteurs travaillent dans le mauvais sens.» Les écrivains soviétiques, selon la Pravda, semblaient avoir peur de la vérité. Ainsi, un an avant la mort de Staline, le signal du «dégel» culturel était donné. Il n'est pas étonnant que la nouvelle tendance se soit fait sentir d'abord dans le domaine de la littérature dramatique. Si l'influence du Parti n'avait pas complètement avili les arts du spectacle, la dramaturgie était tombée fort bas dans les années 30, par suite de la politique culturelle appliquée au cours de la décennie précédente. Origines d'une politique culturelle LE RÉGIME avait dès l'origine imposé à la production littéraire des contraintes plus étroites qu'aux arts du spectacle. Une résolution du Comité central du 18 juin 1925, «Sur la politique dans le domaine des belles-lettres», posait que si le prolétariat, c'est-à-dire le Parti, n'était pas encore en mesure de prescrire la forme artistique, il pouvait déterminer le contenu de l'art. Tout au début, la censure était ainsi purement politique : elle réprimait les opinions hostiles ou en marge partout où elles se manifestaient - au théâtre aussi bien que dans la presse et aux réunions publiques; elle contrôlait l'expression verbale, mais ne se jugeait pas compétente pour influer sur les formes esthétiques, tels l'action physique de Stanislavski, la biomécanique de Meyerhold ou le geste émotionnel de Taïrov.

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