Le Contrat Social - anno IV - n. 3 - maggio 1960

1J8 pnses avec les plus graves difficultés ; une véritable guerre vient de surgir en Amérique entre les États-Unis du Nord, adversaires de l'esclavage, et ceux du Sud, farouchement attachés à la main-d'œuvre servile. Proudhon mourra le 19 janvier 1865, quelques semaines avant la victoire des Nordistes. Il avait, jusqu'à une époque toute récente, manifesté peu de sympathie pour les Américains; dans La Guerre et la paix 5, il reproche à ce peuple son « abject individualisme », sa religion <t tombée en superstition et cafarderie ». Mais la lecture d'un livre que venait d'écrire un de ses amis, M. -J. Dulieu 6 , amène Proudhon à une plus juste appréciation : « Ce à quoi j'applaudis surtout dans la société américaine, écrit-il à Dulieu 7 , c'est que les grands principes sont sauvés ; la dignité personnelle, la noblesse du travail, la famille, le respect des femmes, leur vraie émancipation, tout ce que j'aime et vénère est assuré. )) Aussi prend-il nettement parti pour les Nordistes et souhaite-t-il que Lincoln, non content d'admettre les Noirs au droit de cité, saisisse l'occasion pour « déclarer la guerre au prolétariat». Tournant ensuite son regard vers l'avenir, il entrevoit avec une rare clairvoyance que les conditions géographiques exposent les Etats-Unis à sacrifier au moins certains aspects du fédéralisme. En effé;_t,tandis que la Suisse, environnée de quatre Etats puissants, ne peut être tentée d'accroître son territoire, les ÉtatsUnis vont être inévitablement appelés à occuper et à exploiter les vastes territoires de l'Ouest encore vierges de toute civilisation. Ainsi, «l' Amérique semble prédestinée à former un grand Empire unitaire, comparable, supérieur même à ceux des Romains, des Mongols ou des Chinois» 8 • Troisième exemple de fédéralisme toujours présent à l'esprit de Proudhon : la Confédération germanique. Celle-ci, au début du xrxe siècle, ne comptait pas moins de 360 États qui se prétendaient souverains. Le traité de Vienne du 8 juin 1815 avait considérablement corrigé une dispersion absurde en réduisant ce nombre à 39 ; cependant, contrairement aux vœux des li?é!aux, la Confé1ération n'était qu'une association de souverains, les peuples n'y jouaient aucun rôle ; l'organe central, la Diète, n'était qu'un conseil de diplomates présidé par l'empereur d'Autriche, et, con1me les décisions ne pouvaient être prises qu'à l'unanimité, c'était- en fait un rouage qui tournait à vide. Le mouvement révolutionnaire de r 848 réveilla les aspirations des libéraux et le Parlement de Francfort sembla un instant i;ouvoir tr2nsformer la Confédération des_ princes en État fédéral populaire. Mais la résistance des sou,·erains eut têt fait de réduire à 5. Éd. Rivièœ, pp. 45-50. 6. Missouri et Indiana. Souvenirs d'Amérique, Bruxelles 1862. 7. Correspondance, C. X, pp. 273-275. 8. Principe fédératif, p. 537, note. LB CONTRA?' ._\'ùCIIJL néant les faibles initiatives du Parlement. Après la dispersion de celui-ci, la Confédération retomba dans la confusion et l'impuissance et Proudhon pouvait mélancoliquement écrire : « En ce moment, le système de la Confédération germanique est de nouveau à l'étude dans la pensée des peuples : puisse l'Allemagne sortir enfin, libre et forte, de cette agitation comme d'une crise salutaire 0 • » La crise ne tardera pas à survenir, et elle sera dénouée au profit de la Prusse par les canons de Sadowa et de Sedan. ET DEPUIS, de Proudhon à nos jours ? D~rant cette période qui couvre presque un siècle, le tableau du fédéralisme révèle des formes très diverses. Il importe, pour éviter la confusion, de se méfier des pièges du vocabulaire. Les juristes s'accordent à distinguer d~ux types de c9nstitution fédérale : la confédération d'Etats et l'Etat fédéral. Dans la confédération, les États associés réservent la plénitude de leur souveraineté, c'est-à-dire leur compétence exclusive dans les domaines essentiels de leur existence politique, mais ils disposent d'un centre géographique et d'organes d'exécution plus ou moins importants. Dans le passé, le meilleur type de confédération est l'ancienne Confédération germanique postérieure aux traités de Vienne. La Société des Nations, qui a vécu de 1919 à 1946, et l'Organisation des Nations unies, qui lui a succédé, sont du même type : ce ne sont pas des « super-États », chaque membre conservant sa pleine souveraineté ; mais la Société des Nations avait à Genève son siège permanent, doté d'un organisme administratif déjà très complexe et très efficace. L'Organisation des Nations unies a son siège à New York et dispose elle aussi d'un système administratif puissant et efficace. Dans l'État fédéral, au contraire, les États associés renoncent en faveur de la communauté à diverses compétences d'irpportance capitale : relations officielles avec les Etats étrangers, droit de ·gùerre et de paix, constitution et direction des forces militaires, douanes, budget fédéral. Or, pai<un~-malice de l'histoire, il se trouve que les deux Etats qui offrent le type fédéral le plus parfait ne le mettent pas en évidence par leurs noms : la Suisse continue à se dire « Confédération helvètique » et la grande république de l'Amérique du Nord se çontente depuis son origine du titre modeste d' «Etats-Unis». Même imprécision en ce-qüi concerne· les États modernes de caractère plus ou moins fédératif : Deutsche Bundesrepublik, Commonwealth britannique, Estados 9. Ibid., p. 341.

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