102 peu à un art d'avant-garde qu'à un théâtre de pur divertissement. Ce qu'il voulait, c'est un théâtre d'illusion politique qui cachât l'amère réalité. Il redoutait la révolution aussi bien dans le contenu que dans la forme. Nombre de théâtres parmi les plus connus furent fermés, dont le Théâtre Korsch de Moscou, le deuxième Théâtre d'Art de Moscou (fondé par Stanislavski), le Théâtre réaliste Okhlopkov, la salle du Proletkoult dirigée par Diki, tous les studios d'essai et d'avant-garde et, surtout, le bastion d' « Octobre au théâtre », le Théâtre Meyerhold. La terreur stalinienne s'abattit impitoyablement sur l'élite des artistes dramatiques. Il suffit de rappeler la liquidation de Meyerhold et de sa femme, la célèbre comédienne Zénaïde Reich, de Les Kurbas, réformateur du théâtre ukrainien, des dramaturges Isaac Babel, Vladimir Kirchon, Serge Trétiakov et Mikola Kouliche ainsi que des meilleurs critiques. Les condamnations avaient des prétextes politiques : Meyerhold fut arrêté après un discours qu'il avait prononcé contre le réalisme socialiste, mais à son procès on l'accusa d'être un espion allemand. Suivant des témoignages dignes de foi et qui se recoupent, il succomba à la torture au cours des interrogatoires 7 • Le dépérissement d'après guerre LESSURVIVANdTeSla Grande Purge des années 30, la iéjovchtchina, furent soumis après la deuxième guerre mondiale à une nouvelle vague de persécutions, la jdanovchtchina. Sur l'initiative d'André Jdanov, le Comité central prit une série de résolutions concernant la littérature (14 août 1946), le théâtre (26 août 1946), le cinéma (4 septembre 1946) et la musique (10 février 1948). Une action disciplinaire fut entreprise, notamment contre les écrivains Anna Akhmatova et Michel Zochtchenko ; contre les metteurs en scène de théâtre Alexandre Taïrov et Nicolas Akimov, révoqués de leurs postes respectifs de directeur du Théâtre de chambre de Moscou et de la Comédie de Léningrad ; contre les metteurs en scène de cinéma Poudovkine et Eisenstein (élève de Meyerhold) ; contre les compositeurs Chostakovitch, Prokofiev et Khatchatourian. Le décret du 26 août 1946, « Sur le répertoire des salles de spectacle et les mesures pour l'améliorer», reprochait aux théâtres de jouer des drames 7. Sur la mort de Meyerhold, on possède les témoignages d'un agent du N.K.V.D. fait prisonnier pendant la deuxième guerre mondiale (cf. W. Solsky : « Der Grosse Meyerhold» in Der Monat, Berlin-Ouest, n° 21, 1950) et d'intellectuels polonais qui, après la réhabilitation de Meyerhold, purent consulter les dossiers de l'instruction. - Bibl-ioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE occidentaux et des pièces soviétiques qui critiquaient la vie et le peuple soviétiques. Il devint obligatoire pour toutes les scènes de « monter chaque année au moins deux ou trois nouvelles pièces de haute valeur idéologique et artistique sur des thèmes soviétiques modernes », ce qui fit déferler un flot de pièces de pacotille. Le 28 janvier 1948, une attaque contre le « groupe antipatriote de critiques dramatiques » paraissait dans la Pravda. Plusieurs éminents critiques de Moscou, tous d'origine juive, furent licenciés et arrêtés. Cette action contre les « critiques cosmopolites» et les « agents de la décadence bourgeoise» était le premier signal de la campagne antisémitique au cours de laquelle tous les théâtres juifs furent fermés en Union soviétique, au nombre desquels le Théâtre de chambre yiddish qui avait joué un rôle dans le mouvement « Octobre au théâtre ». Le célèbre comédien Mikhoels, qui avait doill}.éson nom à la salle, mourut en 1948 dans des circonstances suspectes. Peu après sa mort, on l'accusa de « c?s~opolitisme » et d'espionnage au profit du « s1on1sme». Par une ironie du sort, sur la fin de savie, Stanislavski bénéficia de la faveur de Staline. Tandis qu'il offrait son studio privé à son grand disciple et rival Meyerhold comme dernier refuge contre les persécutions, la révolution au théâtre était écrasée en son nom, sans qu'il y fût pour rien. Pourquoi le régime s'était-il approprié le système de Stanislavski? Sans doute parce que sa méthode, destinée à inculquer à l'acteur un solide métier, semblait permettre un travail théâtral privé de toute étincelle artistique créatrice. En mettant l'accent sur certains éléments rationnels et didactiques du système - son rebut naturaliste en quelque sorte - et en rejetant les éléments irrationnels et mystiques de la période symboliste, on pouvait l'intégrer tant bien que mal au matérialisme dialectique ; après tout, l'un et l'autre puisaient à la même source, la foi optimiste dans le progrès, propre au XIX8 siècle. Le fait que l'application du système se limitât aux classiques russes et aux pièces modernes - conséquence de l'isolement de Stanislavski après la révolution - flattait le chauvinisme grandrussien ; le jeu conventionnel et appuyé des acteurs plaisait aux goûts de philistins des fonctionnaires. Encore fallait-il escamoter une bonne partie des écrits du maître. La version, déclarée authentique en 1950, qui fait foi aujourd'hui, fut élaborée par quelques élèves staliniens de Stanislavski après la mort de toute la vieille garde du Théâtre d'Art de Moscou. (Fin au prochainnuméro) ]UERGEN RUEHLE.
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