Le Contrat Social - anno IV - n. 2 - marzo 1960

J. RUEHLE menée contre l'Église) la pièce fut mal comprise et échoua. Stanislavski laissa éclater sa contrariété en donnant une œuvre très nettement en désaccord avec l'esprit des temps, la vieille opérette de Lecocq, La Fille de Madame Angot, satire de la Révolution française. Il fallut l'intervention de plusieurs hauts dirigeants du Parti, dont celle de Lénine et de Lounatcharski, pour éviter au plus célèbre théâtre russe d'être liquidé. Le Théâtre d'Art de Moscou fut maintenu, mais seulement comme une précieuse pièce de musée. En 1926, Stanislavski produisit Les Jours des Tourbine de Boulgakov, qui firent scandale : des officiers blancs y étaient présentés comme des héros tragiques et l'hymne tsariste était entonné sur scène. Pour la commémoration du dixième anniversaire de la révolution, le Théâtre d'Art ne put éviter de tenir compte de la nouvelle ère : Stanislavski monta une pièce révolutionnaire soviétique, Le Train blindé 14-69 d'lvanov. Mais cette même production - interprétée aujourd'hui par l'historiographie officielle comme une déclaration d'allégeance de Stanislavski à la révolution - fut sévèrement dénoncée alors sous prétexte que la mise en scène avait dépouillé la pièce de son caractère d'affiche politique. Après ces échecs répétés, Stanislavski vieillissant renonça à toute activité publique. Stanislavski était de toute évidence en conflit avec la révolution. On peut se demander ce qui empêcha ce chercheur infatigable, qui par deux fois avaient été à l'origine d'une révolution artistique, de se joindre au mouvement « Octobre au théâtre». C'était évidemment son aversion pour le théâtre politique, sa conception de la mission humanitaire de l'art : L'idéologie et l'art sont incompatibles, écrivait-il en 1925. L'un exclut l'autre. Si vous abordez l'art uniquement avec des buts tendancieux, de propagande ou autres, non artistiques, il se flétrira dans votre main comme une fleur. L'invasion stalinienne POURQUOI la période révolutionnaire du théâtre soviétique, qui avait donné une floraison si riche et si haute en couleur, prit-elle fin si vite? Elle appartenait au passé ; l'illusion révolutionnaire était devenue un mensonge. La Russie se trouvait à un carrefour : elle devait ou bien revenir au despotisme ou bien aller vers la démocratie. A partir du théâtre révolutionnaire, la première voie était un retour en arrière, vers un byzantinisme théâtral ; la seconde, une marche en avant, vers un théâtre libre dans une société libre. L'évolution vers un théâtre libre, sans préjugés, véridique et humain, avait été tracée parV akhtangov peu avant sa mort prématurée ; elle atteignit son apogée lorsque Meyerhold, l'initiateur d' « Octobre au théâtre », renia ses anciennes conceptions pour se proclamer publiquement disciple de Vakhtangov. Cette tendance fut soutenue par Biblioteca Gino Bianco 101 des dirigeants libéraux du Parti, tels Lounatcharski et Boukharine, qui prônaient une démocratisation de la société. Cependant, la bureaucratie du Parti sous la coupe de Staline ne pouvait ignorer que le théâtre, tel qu'il s'était manifesté avant et après la révolution, représentait pour elle un danger certain. Au début des années 30, le nombre de pièces et de productions bannies commença à augmenter de façon marquée. La censure n'était plus dirigée exclusivement contre des artistes non communistes comme Boulgakov, mais aussi contre les communistes qui déviaient de la ligne générale. Bornons-nous à deux exemples. En 1929-30, Meyerhold (en collaboration avec le compositeur Chostakovitch et les artistes réunis sous le pseudonyme Koukryniksy) monta deux satires de Maïakovski : La Punaise et Les Bains. Maïakovski avait donné là libre cours à sa haine croissante de la bureaucratie. Par le grotesque, la parodie et l'utopie (l'action se déroule après l'an 2000) il critiquait les gros bonnets bolchéviques et la « nouvelle classe » stigmatisée depuis par Djilas. Les Bœins concluaient de façon provocante que les fonctionnaires sont inutiles au· communisme. Les critiques du Parti furent indignés ; on retira les deux pièces du répertoire, où elles ne reparurent qu'après la mort de Staline. Les persécutions et les injures contribuèrent sans aucun doute au suicide de Maïakovski en 1930. En 1936, le Théâtre de chambre de Taïrov monta l'opéra de Borodine Les Preux. Le nouveau livret était dû à Demian Biedny, poète de l'Agitprop, qui couvrait de ridicule les boyards et les héros russes d'autrefois. Ce faisant, il avait omis de tenir compte de la ligne qui avait changé entre-temps, passant du mépris révolutionnaire pour tout le passé russe à un nouveau chauvinisme. (Staline autorisa ainsi la reprise de La Vie pour le tsar de Glinka dont le titre devenait : Ivan Soussanine.) A la première des Preux, Molotov quitta la salle en protestant : cc Quelle honte! Les preux étaient de si grands hommes ... » On retira l'opéra de l'affiche et Biedny fut exclu de l'Union des écrivains. Purges et mise au pas LA CENSURE s'attaquait maintenant aux questions de forme ; le reproche de « formalisme » devint un redoutable anathème. Tous les éléments révolutionnaires et d'avant-garde, en particulier le Proletkoult 6 , furent condamnés pour avoir substitué des « concepts sociologiques abstraits à la forme artistique concrète et typique ». Le régime stalinien voulait un théâtre conventionnel et accessible à tous pour populariser facilement ses thèmes de propagande; il s'intéressait aussi 6. Abréviation de « Culture prolétarienne », tendance de gauche dans la politique culturelle soviétique de t•époquc.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==