Le Contrat Social - anno IV - n. 2 - marzo 1960

J. RUEHLE Appartenant à la génération qui avait accompli ces miracles, Stanislavski se demandait pourquoi « un patriarche aussi vénérable que notre théâtre (.•.) reste à ce jour dans un état quasi primitif». La mission de sa vie était de porter l'art dramatique à un état de perfection conforme aux exigences de l'âge scientifique. De nouvelles idées commençaient à s'affirmer dans le théâtre de toute l'Europe, en Allemagne et en France en particulier, et le programme de Stanislavski correspondait pour l'essentiel aux tendances du naturalisme français et allemand : Nous protestions contre l'ancienne manière de jouer, la routine théâtrale, le pathos, la déclamation, les outrances dramatiques, les sottes conventions de la mise en scène et des décors, le règne de la vedette qui annihilait le travail d'équipe - bref, contre le style des représentations et le répertoire insignifiant du théâtre de l'époque. Ce qui ne veut pas dire que le Théâtre d'Art ne fut qu'un écho des mouvements théâtraux de l'Occident. L'amour et le génie du théâtre propres aux Russes et nourris aux sources les plus intimes portèrent les spectacles à une perfection presque miraculeuse. Le symbolisme et le « système » SI STANISLAVSaKIinstauré le naturalisme en Russie, il y introduisit aussi le symbolisme. La présentation en 1907 du Jeu de la vie de Knut Hamsun marque le début de la seconde phase de son évolution, la phase symboliste. Les événements de 1905 (défaite de la Russie dans la guerre contre le Japon, première révolution et, après sa répression, période de réaction active) avaient inauguré une ère de troubles et balayé la croyance optimiste de la bourgeoisie dans le progrès. Dans le théâtre européen, un nouveau mouvement littéraire fit son apparition, auquel les techniques naturalistes ne pouvaient plus convenir. Le répertoire du Théâtre d'Art sera désormais dominé non plus par Tolstoï, Tchékhov et Gorki, mais par Hamsun, Maeterlinck, Dostoïevski, Andreïev, le Hauptmann de la période intermédiaire et l'Ibsen dernière manière. Stanislavski réagit aux signes des temps avec un esprit de suite et un courage extraordinaires. Il s'assura le concours d'artistes d'avant-garde (Gordon Craig, Benois) et créa lui-même des décors surréalistes avant la lettre. En collaboration avec Soulerjitski, disciple de Tolstoï qui devait apporter aux vues éthiques de Stanislavski de nombreux éléments du tolstoïsme, et Meyerhold qui, par aversion pour le naturalisme, avait rompu avec le Théâtre d'Art quelques années plus tôt, il ouvrit plusieurs studios d'essai. A cette époque, Stanislavski subit aussi l'influence du mysticisme indien, alors en vogue en Russie, ce qui eut des effets importants sur sa Biblioteca Gino Bianco 97 conception du jeu des acteurs. Sa nouvelle idée fondamentale - stimuler l'intuition par l'exercice physique - était évidemment empruntée à l'enseignement des yogis. La fusion avec le milieu, qu'il exigeait de l'acteur, acquit ainsi une nouvelle et profonde signification : jouer, croyait-il à présent, n'est pas imiter la réalité, mais pénétrer dans le subconscient, ce qui n'est possible que dans un milieu authentique, une situation concrète : « Si le corps ne commence pas à vivre, l'âme ne peut pas vivre non plus.» Le système de Stanislavski n'est pas une forme de style démodée ni un spécimen éventé du naturalisme du XIXe siècle, comme le prétendent nombre de critiques, non plus qu'une panacée dramatique, comme le soutiennent ses apologistes. Il est le point de départ, la base de tout art dramatique, de même que l'étude de la nature est le fondement de toute peinture. La plupart des grands acteurs s'appuient - consciemment ou non - sur la méthodologie que Stanislavski fut le premier à formuler selon des catégories scientifiques. Des moyens de représentation tels que la stylisation, le grotesque, l'exotisme, les effe~s d'éclairage, etc., furent employés plus d'une fois par Stanislavski. S'il n'en tint pas compte dans son système, c'est que son évolution fut interrompue par la révolution d'Octobre, qui l'enferma dans un isolement tragique. De surcroît, il a toujours considéré lui-même que son œuvre n'était pas encore parachevée. Autres novateurs BIEN QUE MEYERHOLDTA, IR0VETVAKHTANG0V eussent passé aussi par l'école purement naturaliste, ils créèrent leur style individuel en opposition marquée au naturalisme. Ce faisant, ils allèrent plus loin que Stanislavski, qui lui ne surmonta jamais complètement ses origines naturalistes. Vsévolod Meyerhold (1874-1939) était le meilleur élève de l'école d'art dramatique du Théâtre d'Art 2 • Il tenait le rôle principal à la mémorable première de La Mouette de Tchékhov. Stanislavski, pourtant si exigeant, lui confiait des mises en scène malgré son jeune âge. Au bout de quelques années, Meyerhold se sépara de ses maîtres Stanislavski et Némirovitch-Dantchenko et partit pour Saint-Pétersbourg où la célèbre comédienne Komissarjevskaïa avait ouvert un théâtre d'avantgarde. En réaction au naturalisme du Théâtre d'Art, Meyerhold élabora les principes du théâtre « symbolique ». Son but était la composition décorative, picturale, de la scène ; il groupait ses acteurs à la manière de bas-reliefs ou de fresques vivantes. Lorsque Stanislavski commença à concevoir des doutes sur son propre travail, il rappela 2. Sur l'évolution de Meyerhold, voir : V. Meyerhold; Rckonstruktsia teatra, Auslandstournec 1930, Berlin 1930; I. Ielaguinc : Tiomn_v gucni (« Sombre Génie»), New York 1955.

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