98 son élève le plus doué, mais leur collaboration échoua bientôt pour des raisons financières. Pendant les années qui précédèrent la première guerre mondiale, Meyerhold, bien que dénoncé comme révolutionnaire, conquit les théâtres impériaux de Saint-Pétersbourg, les transformant par d'étourdissantes mises en scène de drames et d'opéras. Alexandre Taïrov (1885-1950), qui avait perdu ses illusions sur le naturalisme, accepta, sur l'invitation de Marjanov, riche amateur de théâtre de Moscou, de diriger le Théâtre libre, destiné à encourager toutes les formes d'art scénique sous la bannière du cc théâtre synthétique» 3 • Chargé de monter une pantomime, il fut ainsi lancé dans une voie qu'il suivra désormais fidèlement. En 1914, après le début du conflit, il ouvrait son propre théâtre d'essai, le Théâtre de chambre de Moscou. Taïrov définissait les buts de son théâtre de façon négative, en l'opposant au naturalisme de Stanislavski et au symbolisme de Meyerhold. Selon lui, ces deux écoles faisaient violence au théâtre et, ce qui est plus grave, à son essence, l'art du comédien, qu'il concevait lui-même comme l'art de l'expression du corps humain. A son avis, le système naturaliste faisait de l'acteur un psychopathe qui se creusait l'esprit, tandis que le théâtre symbolique le ravalait au rang d'une simple tache de couleur ou d'un simple élément de la mise en scène. Taïrov recherchait un théâtre qui fût de pur jeu, libéré de toutes les aspirations psychologiques, littéraires, picturales ou mécaniques. C'est dans ce sens que doit être entendu le slogan « théâtre sans entraves », emprunté au titre de son livre et qui fut appliqué à l'ensemble de son œuvre. On doit laisser l'acteur s'exprimer librement sur scène, sans qu'il soit lié par aucune influence étrangère ; il ne doit être limité que par sa structure physique. Taïrov aspirait donc à l'art pour l'art, l'art du comédien en soi. Dans la pratique, ses méthodes étaient proches de la danse expressionniste moderne : les acteurs évoluaient rythmiquement, marchant à grands pas, trottant, sautillant, parmi des décors faits de cubes, de carrés et de cônes monumentaux, de plates-formes inclinées et d'escaliers. Eugène Vakhtangov (1873-1922), produit comme Meyerhold du Théâtre d'Art de Moscou et l'un des élèves favoris de Stanislavski, s'éveilla à l'originalité pendant la période de transition entre les révolutions de 1905 et 1917 4 • C'était l'époque où Gorki et Stanislavski, débordant tous deux d'idées nouvelles, discutaient les plans d'un 3. Sur l'évolution de Taïrov, voir : Mikhail A. Zelikson : The Artist of the Kamerni Theater - 1914-1934, Moscou 1935; A. Tairov : Das entfesselte Theater, Potsdam 1927; J. Gregor & R. Fülôp-Miller : Das russische Theater, Vienne 1927. 4. Sur l'évolution de Vakhtangov, voir : I. Vakhtangov : Zapiski, pisma, stati (« Notes, lettres et articles»), Moscou 1939 ; B. Byalik : Gorki und das Theater, Berlin-Est 1954 ; J. Jelagin: The Taming of the Arts, New York 1951. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE cc théâtre spontané». Sous l'effet des pièces populaires improvisées qu'il avait vues à Naples, Gorki proposait de faire revivre la commedia dell' arte. Il imaginait les choses ainsi : un auteur dramatique ébauche un scénario indiquant l'intrigue, la distribution et le lieu de l'action; au cours de discussions et de répétitions avec les acteurs qui créent leur rôle comme ils l'entendent, l' cc esquisse des personnages » est complétée par des traits empruntés à la vie ; à mesure que les personnages prennent consistance, leurs propres contradictions se développent, créant ainsi les conflits; l'auteur écrit le scénario final pendant les répétitions. Stanislavski, intéressé, ouvrit un studio pour mettre l'idée en pratique ; il en confia la direction à Soulerjitski et lui adjoignit Vakhtangov. L'expérience n'aboutit pas à grand-chose, les conceptions de Gorki différant de celles du Théâtre d'Art. Par tempérament, Gorki était toujours plongé dans la politique révolutionnaire - malgré ses désaccords avec Lénine - tandis que Stanislavski et Soulerjitski, fidèles à l'enseignement de Tolstoï, mettaient leur foi en une régénération artistique et humanitaire. L'improvisation était certes un outil approprié à la simple diffusion des idées ; mais elle ne pouvait les articuler de façon cohérente et efficace. En outre, et c'est là la deuxième raison de l'échec, la diffusion des idées était encore faible à l'époque. Après la révolution, la technique de l'improvisation se révélera fructueuse. Quoi qu'il en soit, sous l'influence des expériences de Gorki, Vakhtangov rompit avec la politique artistique du Théâtre d'Art de Moscou. Après la mort prématurée de Soulerjitski en 1916, il prit la direction du premier studio du Théâtre d'Art et lui imprima bientôt la marque de sa personnalité. On voit donc que les idées des grands metteurs en scène du théâtre russe étaient mûres avant la révolution. Mais il est non moins évident que tous - à l'exception de Stanislavski - reçurent de ce bouleversement l'impulsion créatrice sans laquelle leur renommée n'eût pas été possible. cc Octobre au théâtre» DURANT LES PREMIÈRES ANNÉES après la révolution, le théâtre soviétique fut dominé par les imposants spectacles de masse donnés, à la manière des mystères, à l'occasion des fêtes du calendrier rouge (anniversaire de la révolution d'Octobre, Premier Mai) ou lors des congrès du Parti. Organisées surtout à Pétrograd et à Moscou par des hommes c;omme Meyerhold, Evreinov, Kerchentsev, ces représentations avaient pour thème les événements de la révolution et pour participants des milliers ou même des dizaines de milliers de personnes. Cette utilisation politique du théâtre ne se limitait pas aux grandes villes. Venant des centres, des troupes d'agitation
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