Le Contrat Social - anno IV - n. 2 - marzo 1960

LE THÉATRE SOVIÉTIQUE I par Juergen Ruehle LES HISTORIENSdu théâtre soviétique des années 20 avancent deux thèses opposées. Pour les uns, le brillant art théâtral de cette époque n'était que l'ultime reflet de l'âge d'or qui précéda la révolution : les bolchéviks n'avaient tout simplement pas encore eu le temps de liquider le théâtre russe. L'autre école tient que le théâtre des années 20 était un produit de la révolution culturelle bolchévique, un témoign~ge du ferment que sont les idées révolutionnaires. La première thèse prédomine en Occident ; elle semble avoir été formulée sous l'influence des émigrés russes pour qui le triomphe du bolchévisme signifiait la destruction du mode de vie et de l'art russes. Bien que procédant de prémisses toutes différentes, une théorie presque similaire prévalait parmi les staliniens : eux aussi ne voyaient dans la première phase de l'art soviétique, à leurs yeux formaliste et décadente, qu'un vestige de l'idéologie bourgeoise réactionnaire qu'ils s'étaient employés à liquider. La seconde thèse fut soutenue par la direction bolchévique qui précéda Staline. A cette époque le parti bolchévique revendiquait les réalisations de l'art révolutionnaire russe qui retenaient l'attention du monde entier. Après la mort de Staline, cette thèse fut reprise et les artistes des années 20 furent réhabilités. La remise en honneur partielle du théâtre révolutionnaire a été l'un des éléments de la déstalinisation (1953-54), un aspect de la renaissance dite léniniste. Origines prérévolutionnaires LESRACINESdu théâtre révolutionnaire plongent profondément dans la tradition russe et dans celle de l'Europe occidentale. Les figures de premier plan du monde théâtral étaient des personnalités mûres et reconnues dont les conceptions fondamentales étaient déjà parfaitement au point au Biblioteca Gino Bianco moment où éclata la révolution. Considérons à cet égard les grands révolutionnaires du théâtre : Stanislavski, Meyerhold, Taïrov et Vakhtangov. Lorsque Stanislavski fit son entrée sur la scène du théâtre russe, la nécessité du « naturel » était à l'ordre du jour. Les milieux commerciaux et industriels qui donnaient alors le ton dans les arts réclamaient un « théâtre de vérité » au lieu du théâtre décoratif de cour. Constantin Stanislavski (1863-1938) était lui-même un produit de cette bourgeoisie montante. Fils d'un fabricant de Moscou, il devait consacrer toute sa fortune au théâtre. Le Théâtre d'Art de Moscou fut financé à ses débuts par les administrateurs de la Société philharmonique, institution fondée par de riches marchands de Moscou, et plus tard par le grand industriel Morozov. Cet arrière-fond social aide à comprendre l~s idées initiales de Stanislavski et la première phase naturaliste de son travail prérévolutionnaire, commencé par la fondation en 1898 du Théâtre d'Art de Moscou 1 • Elles avaient pour origine la croyance optimiste dans le progrès qui prévalait pendant le dernier quart du XIXesiècle et la philosophie matérialiste des sciences naturelles qui triomphaient à l'époque. Stanislavski commence ainsi son autobiographie : Je suis né au point de rencontre de deux époques. J'ai été ainsi témoin du progrès de la chandelle au projecteur, de la diligence à l'avion, du bateau à voiles au sous-marin, de la malle-poste au télégraphe, du fusil à pierre à la grosse Bertha, du servage au bolchévisme. 1. Sur l'évolution de Stanislavski, voir: K. Stanislavsky: My Life in Art, Boston 1924; N. Albakin: Das StanislawskiSystem und das Sowjettheater, Berlin-Est 1953; D. Magarshak: Stanislavsky, Londres 1950. En français, voir : Nina Gourfinkel : Constantin Stanislavski, Paris 1955; C. Stanislavski: La Formation de l'acteur, Paris 1957.

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